• Le prix de l'insolence

    Antonio Vendini, 31 ans, criminel ambitieux, ouvrit la porte de secours d’un puissant coup de pied, et poursuivit sa course effrénée jusqu’à atteindre le rebord du toit de l’immeuble. Il évalua sommairement l’espace qui le séparait du bâtiment d’en face, et jugea qu’avec un peu d’élan, il pouvait le rejoindre d’un bond.

    Il recula, recula, recula encore, et s’élança. À grandes enjambées, il traversa le toit, prit appui sur le muret, et sauta par-dessus le vide.

    Le gangster atterrit de justesse sur le parapet qu’il visait, mais trébucha et finit sa cascade en roulé-boulé.

    Il se releva et grimaça. Son costume blanc était noirci par la poussière, ses manches et son pantalon étaient éraflés par endroits et déchirés à d’autres, et son genou droit était ensanglanté.

    — Zut…

    — Il est là ! beugla une voix.

    Vendini fit volteface. Sur l’autre toit, deux Latinos le pointaient du doigt et avertissaient leurs camarades de sa présence, après quoi ils dégainèrent une arme chacun et commencèrent à lui tirer dessus.

    Antonio reprit sa fuite. Il traversa le toit aussi vite que sa légère blessure le lui permettait, clopinant tel un chien apeuré. Il posa la main sur le poignée de la porte de secours, par laquelle il comptait s’enfuir, quand une détonation retentit et un projectile fusa dans le mur juste à côté de lui, arrosant d’une gerbe de ciment moulu sa veste déjà copieusement abîmée.

    Le criminel stoppa net.

    — Tourne-toi, Vendini. Lentement.

    Il s’exécuta. Les Latinos lui faisaient face, et ils étaient sept, désormais. Il pesta qu’ils l’avaient trop vite rattrapé. Machinalement, il porta la main à son holster, mais un geste de celui qui avait tiré l’en dissuada.

    L’homme qui le menaçait faisait à peu près sa taille et sa corpulence, cependant leurs ressemblances s’arrêtaient là. Vendini était rasé de frais, avait des cheveux courts coiffés en arrière, des yeux d’un bleu clair, des traits généralement fins, et portait un costume trois-pièces taillé sur mesure. L’autre disposait d’une barbe drue, de cheveux frisés noirs indisciplinés, des yeux sombres, des traits généralement bruts, et portait un t-shirt et une chemise sales tirés à la va-vite dans son pantalon.

    — Carlos ! s’exclama Antonio. Justement, je pensais à toi, tiens ! Je…

    — Les mains en l’air, Vendini.

    — Je…

    — Les mains en l’air !

    À nouveau, il s’exécuta.

    — Bien. Maintenant, dis-moi pourquoi nous sommes réunis ici, en cette fin de journée de mai.

    — Parce que nous sommes ce qu’on pourrait qualifier de distantes connaissances ?

    — Parce que tu es un idiot mal élevé. Répète.

    — Hein, quoi ? Ça n’a pas de s…

    — Répète.

    — … Parce que je suis un idiot mal élevé.

    — Bien. Nous sommes réunis ici, en cette fin de journée de mai, parce que tu es un idiot mal élevé. D’abord, tu me vends des armes bidons.

    — Qui, moi ?

    — À cause de toi, j’ai perdu trois mecs dans un hold-up. Ensuite, ça a été de l’alcool frelaté. À nouveau, trois morts. Et pour finir, pour finir… la cerise sur le gâteau…

    Vendini tâcha de se remémorer rapidement ce qu’il avait bien pu faire de si atroce pour que Carlos Delrio lui en veuille à ce point. Rien ne lui vint à l’esprit.

    — Tu insultes ma petite amie.

    C’était inattendu. Mais maintenant qu’il y pensait, c’était juste après ce petit incident que les sbires de Delrio avaient commencé à le courser.

    — Tu insultes ma petite amie, répéta Carlos, devant moi, devant mes amis, comme si de rien n’était.

    — Pour être tout à fait honnête, qualifier une prostituée de pute n’est pas tellement déplacé…

    Delrio frappa Antonio d’un revers de gifle.

    — C’est une profession respectable ! Qui mériterait d’être reconnue et soutenue par le gouvernement ! Cabrón !

    Il se tut un instant, puis donna un coup de poing dans le ventre de Vendini, qui se plia en deux et tomba à genoux. Il reprit :

    — Pourquoi tu me fais tout ça, Vendini ? Honnêtement. En toute amitié. Dis-le-moi sincèrement. Qu’ai-je donc fait pour mériter un tel châtiment ?

    Le criminel ambitieux inspira profondément avant de répondre avec aplomb :

    — Parce que je ne t’aime pas.

    Il ponctua d’un sourire enfantin.

    — C’est bête, hein… mais je t’aime pas. Je peux pas te blairer. Mais carrément pas. Alors je trouve sans arrêt de nouveaux prétextes pour t’emmerder. Je t’en remercie d’ailleurs, car tu es une source inépuisable d’inspiration. Il me suffit de te regarder pour imaginer au moins trois façons de te faire chier. Tiens, là, de suite, par exemple, je…

    Carlos poussa un soupir las. Il se détourna, s’approcha de l’un de ses hommes, qui lui donna un objet brillant, et revint vers Vendini.

    L’objet brillant s’avéra être une machette.

    — Wowowo, attends une seconde, Carlos. Tu vas faire quoi avec ça ?

    — Tu m’as insulté et tu as insulté ma nana en public. Je peux pas laisser passer ça.

    — Attends attends attends, tu vas me couper un doigt pour ça ?

    — C’est pas le doigt que je vais te couper. C’est la tête.

    Antonio déglutit bruyamment.

    — Je suis sûr qu’on peut trouver une solution !

    — La solution est toute trouvée.

    — Et elle ne me convient vraiment, mais alors vraiment pas !

    Le criminel ambitieux tressaillit. C’était impossible qu’il mourût d’une manière si atroce, d’autant que le matin, il n’avait utilisé que quatre cotons-tiges pour se laver les oreilles, ce qui, d’après son échelle de valeur, était la prémonition d’une bonne journée. Et, toujours d’après son échelle de valeur, une bonne journée ne pouvait pas s’achever par une décapitation malvenue.

    Carlos leva la machette dans les airs.

    Une voix féminine l’interrompit dans son geste :

    — HÉ, L’AFFREUX !

    Tous tournèrent la tête. Le cri provenait du toit où la poursuite avait commencé. Deux femmes se tenaient au bord. La première était une caucasienne aux cheveux blonds mi-longs et bouclés, qui tenait dans le creux de son coude le cou de la deuxième, qui avait la peau tannée, était coiffée à la garçonne, et arborait une tenue des plus provocantes. Vendini reconnut celle de gauche comme étant Martha, sa loyale lieutenante et dure à cuire en chef, et l’autre comme étant la petite copine de Carlos Delrio qu’il avait “insultée” un peu plus tôt. Martha avait dû finir par s’inquiéter de son absence, et il remercia une nouvelle fois le ciel que la jeune femme fût des plus prévoyantes.

    — Dixie ! s’écria Carlos en apercevant sa douce. Relâche-la immédiatement !

    Martha répliqua quelque chose, car Vendini pouvait voir sa bouche s’ouvrir et se fermer, mais ses mots se perdirent dans le vent. Carlos fronça les sourcils.

    — Quoi ?

    Martha continua à parler, sans que quiconque ne comprenne ce qu’elle dise. Carlos s’adressa à Antonio :

    — … qu’est-ce qu’elle dit ?

    — Aucune idée.

    Apparemment lassée, Martha décida de changer de tactique. Elle relâcha sa prise sur Dixie, et, purement et simplement, la jeta dans le vide. La jeune femme disparut dans un cri de terreur. Aussitôt, Carlos et ses hommes se précipitèrent au rebord et se penchèrent. Dixie, horrifiée, s’accrochait fermement à l’échelle de secours, suspendue dans les airs.

    Il n’en fallut pas plus à Antonio. Profitant de la discorde, il se leva discrètement et prit la poudre d’escampette par la porte.

    Il dévala les étages à toute allure, et ne s’arrêta qu’une fois qu’il fût dans la rue, et il fut par ailleurs surpris que Martha s’y trouvât déjà.

    — Félicitations, le réprimanda-t-elle. Encore un plan brillant mis à exécution de façon magistrale.

    — Eh, je suis vivant ou je suis pas vivant ?

    — Eh, avec moi ou sans moi ?

    Antonio se tut.

    — Bien, reprit Martha. On ferait mieux d’y aller, ils vont finir par se mettre à nos trousses.

    Le duo trotta sur quelques mètres et s’engagea dans une ruelle obscure, jusqu’à être définitivement hors de portée de la fureur de Carlos Delrio. Une fois que Martha les eût jugés en sécurité, elle serra les mains de son patron dans les siennes. Sur l’instant, Antonio fut pris au dépourvu et ne sut comment réagir.

    — Ma… Martha, bégaya-t-il.

    — Il faut que je vous dise quelque chose d’important.

    Son corps battait à toute allure.

    — Qu… qu’est-ce qu’il y a ?

    La jeune femme pressa ses doigts. Elle fuyait son regard.

    — Je… Je… Vous devez savoir que…

    — Vous pouvez tout me d…

    — On nous a volé 200'000 dollars.

    — QUOI ?! Je le savais ! À chaque fois que vous me tenez les mains comme ça, c’est pour m’annoncer une mauvaise nouv…

    — Et 1 penny.

    — QUOI ?!

     


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