• Martha, un stéréotype ?

    S'il y a bien une chose que l'on peut dire de Martha, c'est qu'elle est l'un des personnages préférés des lecteurs de ce blog (parce qu'il y en a !). Elle fait partie, avec Georges l'Émeu Commun, des personnages dont on me parle le plus, et j'ai régulièrement quelques questions la concernant.

    La plus fréquente d'entre elles étant "Va-t-elle finir avec Vendini ?".

    Sans être insultante ni blessante (elle est même plutôt amusante) cette question a tendance à me perturber et me faire m'interroger : est-ce là la finalité du personnage ? Est-ce par son statut de femme fictive qu'elle est avant tout considérée comme un simple intérêt romantique ? Est-ce que c'est ma faute, à moi l'auteur ? L'aurais représentée uniquement par sa fonction reproductrice ? L'aurais-je réduite uniquement à un rôle de faire-valoir sexuel ?

    Retour sur le personnage et sur le défi d'écrire les femmes par un auteur masculin !

     

    Le commencement

    Martha, de son vrai nom Ivannea Merkachvili, fait ses débuts dans la toute première nouvelle du Vendini Show, le 18 février 2013, en même temps que tous les autres personnages principaux (à savoir Jack, Franz, Romuald, Alan et, bien entendu, Vendini).

    La seule différence, c'est qu'elle n'était pas du tout prévue. Mais alors absolument pas ! Elle était à des années-lumières de mes pensées, perdue loin loin loin dans une galaxie d'imagination qui n'existait même pas encore.

    À l'époque, je n'avais pas vraiment de plan préétabli pour le scénario, je me contentais de suivre plus ou moins mon imagination. Martha est d'abord apparue comme une simple voix au téléphone, dans un rôle exclusivement comique : la femme de ménage tempêtueuse réprimandée parce qu'elle fait trop bien son travail. Elle n'avait même pas de corps, rien qu'une voix. Quelques pages plus tard, pour les besoins de l'intrigue, elle fit sa première apparition physique, sous la forme d'une jeune femme blonde aux cheveux bouclés, typée slave.

    Très bizarrement, la trame principale des différentes enquêtes s'est mise à tourner autour de ce personnage imprévu, la rendant de plus en plus importante et indispensable au fil des épisodes. Son absence de passé et sa personnalité encore naissantes ont permis de débloquer de nombreuses situations épineuses d'un point de vue scénaristique, dans le style d'un Deus Ex Machina régulier.

    À l'heure actuelle, Martha est apparue dans presque toutes les histoires du Vendini Show, juste derrière le protagoniste éponyme, et a même eu droit à sa propre histoire dont elle était l'héroïne, montant en grade en fur et à mesure : femme de ménage, serveuse, serveuse de ménage, affranchie…

    Pas mal, pour un bébé inattendu, non ?

     

    La femme running-gag

    Quand Martha est arrivée, elle n'était pas censée être une clé de voûte, mais un simple relief comique. Et Dieu sait que les comiques de récurrence ont fusé avec elle.

    Le premier était tout d'abord son absence physique, devant à l'origine être une simple voix énervée au téléphone. L'idée a été abandonnée une dizaine de pages plus tard.

    Le deuxième concernait ses engueulades avec Vendini, l'un des seuls gimmicks qui soient restés avec le personnage jusqu'à présent.

    Le troisième portait sur les insultes à base de singe. Plus précisément, Martha s'énerve, traite son interlocuteur de sapajou/singe/chimpanzé/ouistiti/ainsi de suite et ajoute une menace de violence physique impliquant un ustensile ménager. Gag en partie abandonné car, tout comme le “kssshéhéhé” de Vendini, il ne correspond plus à sa personnalité désormais plus étoffée.

    Le quatrième se basait sur la blague régulière que les grands-parents de Martha étaient liés d'une quelconque façon au crime organisé. C'était une intervention qui me plaisait bien, mais qui a rapidement pris fin quand le grand-père est effectivement apparu dans l'histoire pour les besoins du scénario… *soupir* je suis un piètre auteur, en fait…

    Le dernier, qui est plus ou moins mort-né, est le fait que Martha ait, d'après les grandes règles de l'univers, les plus belles fesses du monde. *gros soupir* je suis vraiment un piètre auteur…

     

    Les inspirations générales

    Martha a été façonnée par diverses inspirations. Son nom, enfin, surnom, est le fruit du hasard, puisqu'au moment où je rédigeais sa première apparition, j'écoutais une piste de la bande-son de Doctor Who, dédiée à… Martha Jones. Avec une certaine ironie, ce thème musical est doux et rond et n'a rien à voir avec le personnage que je venais de créer.

    En ce qui concernait l'apparence physique, sachant à qui elle devait son nom, et à cause de son emploi de femme de ménage, je l'imaginais typée hispanique. Cependant, pour les besoins de l'intrigue, à un moment où elle devait passer pour une chanteuse excentrique (qui était une parodie à peine masquée de Lady Gaga), Martha a gagné son apparence de jeune femme quasi-aryenne.

    Enfin, sa personnalité de teigne agressive est en partie due à une dernière inspiration : Mercy Graves, l'assistante/garde-du-corps de Lex Luthor dans la série animée Superman, l'Ange de Métropolis, en particulier à cause d'un segment où elle se castagne avec Harley Quinn, la sbire du Joker.

     

    Les inspirations personnelles

    Évidemment je ne m'inspire pas que de personnages déjà existants… En fait, si. C'est difficile de s'inspirer de quelque chose qui n'existe pas, autrement il faudrait d'abord l'inventer pour ensuite pouvoir l'étudier afin de le créer.

    Ça n'a… aucun sens…

    Ce que je veux dire, c'est que Martha est aussi inspirée par des personnages que j'ai moi-même inventés. Le plus récent est Lumiya Vonraken, des Protecteurs de Safirel. Les deux femmes partagent plusieurs points communs : leur silhouette générale, leur rôle de bras droit/confident du méchant principal, une aptitude à s'énerver hors du commun et une capacité à se débrouiller seules, voire à s'en sortir mieux que leurs employeurs respectifs.

    L'autre OC qui a donné naissance à Martha est Valéria. Que vous ne connaissez pas. Que vous ne connaîtrez sûrement jamais, d'ailleurs. Alors autant en parler ici. Dans les tooouuutes premières version de ses aventures, Vendini, qui n'était alors même pas encore un criminel ambitieux, était accompagné de sa sœur, Valéria. Ils formaient un duo à la Bonnie & Clyde, où Antonio agissait comme la tête brûlée impulsive, et Valéria comme la voix de la sagesse et la tête pensante. Et bien entendu ils se chicanaient comme Antonio et Martha aujourd'hui. Le plus étrange est que Martha s'est construite peu à peu comme Valéria, sans que je ne m'en rende réellement compte. Mais elle en reste bien différente, et ça, pour un auteur amateur (un amauteur en somme), c'est très agréable !

     

    Martha, une femme Hawksienne ?

    La chère teigne de Tbilissi a bien évolué depuis son premier appel téléphonique ! En tant qu'amauteur (hé hé) masculin, je me pose toujours de multiples questions en écrivant une femme.

    Déjà car il y a des milliers d'archétypes stéréotypés de la femme. Pour n'en citer que quelques-uns : la femme fatale, le succube, la demoiselle en détresse, l'amazone, le garçon manqué, la prostituée au grand cœur…

    Mais Martha rentre-t-elle dans l'une de ces catégories ou est-elle un mix de tout cela ? Ou plutôt, la femme fictive est-elle un mélange de ces stéréotypes ?

    La réponse la plus évidente est oui. Fort heureusement, une personne réelle normalement constituée possède une personnalité à plusieurs facettes. Il en est de même pour un personnage de fiction, quand on s'investit dedans.

    Vendini et Martha sont les plus développés de toute la bande. Ils interagissent souvent l'un avec l'autre, de façon variée : un coup ils se querellent, un coup ils rigolent ensemble, un coup ils se réconfortent… Ils ont autant de forces que de faiblesses, se définissent par eux-mêmes et se définissent l'un grâce à l'autre.

    Pourtant, la serveuse de ménage tombent quand même dans un cliché monstrueux : le stéréotype de la Schtroumpfette.

    Le stéréotype de la Schtroumpfette arrive quand, pour plus de diversité, un groupe exclusivement masculin accueille un membre féminin en son sein. Or, c'est le cas avec le Vendini Show.

    Un gang composé de 5 hommes accueille en son sein 1 femme. Bien sûr, il est évident de penser que le monde du crime organisé est majoritairement de mecs, notamment dans les strates inférieures. Les gangsters actuels sont plus flexibles, certes, en témoignent toutes les Maras et tous les groupes armés hors-la-loi, mais les mafias plus traditionnelles, comme la Cosa Nostra et la Camorra, sont, dans l'imaginaire collectif, réservées aux boys. Aux bonhommes.

    La présence de Martha parait alors plus incongrue et pourtant ô combien salvatrice. Non pas parce qu'il s'agit d'un festival de la saucisse (encore que) mais parce que chaque membre du gang représente ironiquement ce que déteste Vendini quand il tue quelqu'un. Chacun représente une ou plusieurs particularités dont il est effrayé :

    • la couleur de peau ;
    • l'âge ;
    • la religion ;
    • l'orientation sexuelle ;
    • le sexe.

     

    Grâce à Martha, le groupe est complet !

     

    Enfin, s'il y a un archétype représentatif de Martha, c'est celui de la femme Hawksienne. Popularisé par Howard Hawks (qui a notamment réalisé Scarface, l'une de mes grandes inspirations) et cristallisé par Lauren Bacall, cet archétype des années 30 représente la femme comme une personne capable de tenir tête aux hommes dans les discussions. Elle sait se débrouiller seule, n'est pas considéré comme un objet sexuel et, à la différence de la femme fatale (avec laquelle elle partage beaucoup de caractéristiques), elle n'est pas belle à proprement parler. Elle a un certain charme, mais plaît avant tout grâce à son caractère et à son charisme. Enfin, elle est considérée comme partie intégrante de la bande.

    Or, Martha rentre dans la plupart de ces catégories : elle tient tête aux hommes, se défend toute seule, s'en sort même mieux que ses comparses à de nombreuses reprises. Elle est ingénieuse, très intelligente, mais n'est pas non plus dénuée de défauts qui la mettent parfois dans des situations difficiles.

    En somme, une Superior Vendini.

    Et puis elle a juste de super idées de marketing…

     

    Extrait de Gangster's Paradise

    Enfin, pour montrer un peu son évolution, voici un extrait du projet pour Bibliocratie ! Eh, faut bien profiter de l'occasion, aussi…

     

     

    Martha s’était levée tôt, ce matin, afin de réaliser l’inventaire du Pirate. Équipée d’un carnet et d’un petit stylo noir, elle allait et venait dans la réserve, comptant, recomptant, décomptant toutes les bouteilles. Ce fut moins long que ce qu’elle avait anticipé. Il en manquait plus de la moitié.

    Elle revérifia ses calculs par deux fois, pour ne parvenir qu’au même malheureux résultat : il manquait très précisément 56% du stock.

    — Comment c’est possible, ça ?

    Elle sortit de la réserve en trombe, claquant la porte derrière elle et heurta Judy. Judy était l’une des quelques serveuses du Pirate, avec Joan, Jane, Judy 2 (communément appelée Ju2 ou Judeux) et, occasionnellement, Martha elle-même.

    Judy, d’origine indienne, et la jeune femme s’appréciaient beaucoup. Elles partageaient de nombreux points communs, le premier étant leur façon de tenir tête au patron. En effet, Vendini craignait la colère de Martha, craignait la colère de Judy, et était terrifié à l’idée de provoquer leur courroux simultané.

    Ironiquement, c’était un trait de caractère qu’il estimait beaucoup chez elles.

    Martha s’excusa, salua sa collègue, et entra directement dans le vif du sujet :

    — Judy, tu as vu la réserve ?

    — Non, justement, je suis venue exprès pour faire l’inventaire. C’était à mon tour de le faire. Je ne pensais pas que tu serais déjà là.

    — Le patron me l’avait pas dit… C’est pas grave. Je t’ai épargné du souci, regarde ça. C’est l’inventaire que je viens de relever.

    — Tu déconnes ? Il manque tout ça ?

    — Qui devait s’occuper de vérifier les stocks, normalement ?

    — Monsieur Jack, je crois.

    — Évidemment que c’était Jack… Ce crétin fait tout de travers depuis qu’il s’est fait larguer…

    — La grosse question, surtout, c’est pourquoi on n’a pas été livré ?

    Martha se pinça l’arête du nez.

    — Je… Je vais m’en occuper. Je vais appeler les garçons, ils doivent savoir quoi faire, ils connaissent le fournisseur personnellement. Tu as de quoi t’occuper, du coup ?

    — Ouais, je vais faire le ménage, décider du cocktail du jour, superviser la répétition du groupe d’aujourd’hui et… certainement regarder des vidéos de chat sur Youtube jusqu’à l’ouverture.

    — Profite tant que le patron est pas là !

    — À propos du patron… Tu penses qu’il faut lui faire part de notre léger inconvénient ?

    La blonde se gratta la tête, secouant sa crinière bouclée dans tous les sens. D’un côté, il était plus sage de tenir Vendini au courant des évènements, mais de l’autre, elle s’était contentée de lui faire un simple compte-rendu la veille et cela s’était bien passé. Oui, mieux valait voir comment les choses évoluaient d’abord et ne pas le stresser outre-mesure. Et surtout, ne pas lui donner de prétexte pour revenir à Sunset Bay avant d’avoir régler ses affaires.

    — Je pense qu’il ne s’en portera que mieux, conclut-elle dans un sourire. Allez, on a du travail. On reparle de tout ça après.

    Elle donna une tape amicale sur l’épaule de son amie. Elle sortit ensuite du bar et, une fois dans la rue, téléphona successivement à Franz, Romuald et Alan. Moins de quinze minutes plus tard, ils étaient tous les quatre dans une voiture en route chez le livreur qui ne livrait pas. Martha leur expliqua la situation et cela les laissa perplexes. Romuald conduisait et se concentrait donc sur la route, mais l’absence de réponse des deux autres la perturba. Encore que, Franz pesait toujours ce qu’il disait avant de parler, mais Alan était censé être plus spontané. Son silence la gênait.

    — Il y en a un qui va réagir, oui ? Vous me fichez mal à l’aise, là.

    — Pour dire quoi ? répliqua Alan. On sait très bien pourquoi on n’a pas été refourni. On n’a pas de fric, c’est tout. Faut pas chercher plus loin. Pas de fric, pas de paiement. Pas de paiement, pas de livraison. Pas de livraison, pas de stock, et donc pas de clients.

    — On s’en fout, intervint Romuald en regardant dans le rétroviseur. Le bar sert juste de couverture, c’est pas la mort. On peut très bien vivre sans. On braque quelques bijouteries, on casse deux-trois bras et hop, on sera tranquilles.

    — Ce n’est pas le problème, Romuald, rétorqua Franz.

    — C’est quoi alors ?

    — Le problème, c’est que si nous ne pouvons pas payer Monsieur Rezano, il va naturellement aller chercher de nouveaux clients. Des clients qui ont des moyens et qui ne sont pas nos amis.

    — Tu stresses pas un peu pour rien ? C’est pas comme si on était n’importe qui.

    — Justement. Nous ne sommes pas n’importe qui, et par conséquent nous ne devons montrer aucun signe de faiblesse. Aucun.

    — Donc quoi ? On négocie ? Ou on emploie la force ? demanda Martha.

    — L’un n’empêche pas l’autre.

    Ils arrivèrent à l’entrepôt du grossiste, à quelques dix kilomètres de la ville. C’était une gigantesque boite grise de ciment et de d’acier, qui ressemblait davantage à un pénitencier qu’à une entreprise, une sorte de blockhaus percé de multiples petites fenêtres semblables à des meurtrières.

    En sortant de la voiture, Martha, qui venait ici pour la première fois, songea que ce bâtiment pouvait aussi bien être la cachette de contrebandiers que d’un tueur en série.

    Ou d’un collectif d’artistes contemporains.

    Le quatuor traversa le parking vide et s’arrêta à l’entrée du bunker. La jeune femme frappa à la porte de métal aux boulons apparents qui, après un bref instant d’attente, s’entrouvrit sur un petit bonhomme rondouillard.

    — C’pour quoi ?

    — Nous venons voir Monsieur Rezano, répondit sèchement Martha.

    — Pourquoi ?

    — Ça, ça nous regarde.

    La jeune femme savait ce qui allait se passer. Le bonhomme rondouillard allait lui rétorquer une phrase cassante toute trouvée, lui fermer la porte au nez, et s’ensuivrait une situation comique durant laquelle le groupe essaierait de s’introduire dans le bâtiment de manières aussi diverses et absurdes.

    Elle ouvrit brusquement la porte en grand, attrapa le petit bonhomme par les oreilles, le jeta dehors et invita ses camarades à entrer.

    — Va pour la force, alors, je suppose, remarqua Alan.

    — J’ai fait le choix de l’efficacité.

    — C’est un choix qui me plait bien, chère amie.

    — Vous me faites trop d’honneur.


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