• Le bon choix

    Voici une nouvelle écrite dans le cadre du Prix Jacques Robichon organisé par le Cercle des Auteurs Bandolais pour la première édition du salon du polar à Bandol.

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    La nouvelle qui suit a été rédigée dans le cadre du prix Jacques Robichon organisé par le Cercle des Auteurs Bandolais pour le premier salon du polar de Bandol. Le but était de rédiger une nouvelle (surprenant, hein ?) de 4 à 8 pages, 25 lignes de 10 mots par page en moyenne, et qui devait comporter au moins une fois le terme "Bandol".

    Je suis à la fois fier et déçu du résultat final. Fier parce que, eh, j'ai écrit cette nouvelle en moins de deux jours, juste avant la date butoir pour l'envoyer, et moins fier parce qu'elle ne contient pas vraiment mon style habituel, à savoir de l'humour et des personnages hauts en couleur. J'ai l'impression d'avoir conçu une histoire fade que n'importe qui d'autre aurait pu faire. Enfin, c'est quand même mon petit bébé !

     

    Quand je suis entrée dans la police, c’est le commissaire Henri Bichardier qui m’a accueillie. Un grand gaillard dont on avait l’impression qu’il avait toujours été vieux, avec son visage buriné, son épaisse moustache sous le pif et sa pipe dans le bec. On peut pas faire plus cliché… et pourtant il le fait, en parlant soit de la météo, soit de la bouffe, soit de ses petits-enfants. Bref, donc, le jour où je suis arrivée, il m’a prise à part et il m’a dit « Samiah, dans votre vie de flic, une affaire vous marquera. Une seule affaire qui éclipsera toutes les autres parce qu’à la fin, vous vous demanderez vraiment si vous avez fait le bon choix. Regardez, les nuages… il va faire orage, ce soir. » Alors ça y est, j’y suis, l’affaire qui éclipse toutes les autres.

     

     

     

    Il y a quelques mois, on a trouvé, dans un champ de vignes pas loin de Bandol, un cadavre en piteux état. C’était un jeune homme qui avait à peine vingt ans. Il s’était fait couper la langue et les oreilles, on lui avait arraché les yeux, il avait les tibias en mille morceaux et, bien entendu, il était recouvert de fractures et d’hématomes sur tout le reste du corps. Une vraie carte géographique en relief, le pauvre.

    La victime s’appelait Étienne Chandonnet, et a priori, c’était quelqu’un de tout à fait banal. J’avais suffisamment d’expérience pour déterminer qu’un cadavre sans langue, sans yeux et sans oreilles, ce n’était pas quelqu’un de tout à fait banal. Avec le commissaire Bichardier, on a mené notre enquête. Le gamin ne s’était pas vraiment fait couper la langue et les oreilles… on les lui avait ôtées chirurgicalement. Pareil pour les yeux. Cela faisait quelques temps qu’on traquait une association de malfrats et ça, pour nous, c’était une signature : le pauvre Étienne Chandonnet avait vu et entendu ce qu’il ne fallait pas, et il a voulu le répéter. Donc couic les oreilles, couic les yeux, couic la langue, et couic le gosse.

    Avec Bichardier, on a fouiné partout. D’après la mère de la victime, Jeanne, personne ne pouvait lui en vouloir. Étienne était angélique, doux comme un agneau, et il avait un grand sens de la justice. Il cherchait à passer le concours pour la gendarmerie mais il se faisait sans cesse recaler à cause de son surpoids. Il avait près de quarante kilos en trop. Pour s’affiner, il a fréquenté un club de rugby. Alors on est allés voir le club de rugby, mais personne ne savait rien. Ni les joueurs, ni le coach, ni le président. Pareil à son boulot, il était garagiste en attendant de rejoindre la maison poulaga, et personne savait rien. En général quand personne ne sait rien, c’est que tout le monde sait quelque chose mais que personne ne parle. Au bout du compte, l’enquête n’a rien donné. On a été incapables de dire à la fin qui l’avait fait et pourquoi. Je garderai toujours en mémoire le regard de sa mère. Cinquante ans, vivante à l’extérieur et morte à l’intérieur. Il n’y avait plus rien en elle à part le désespoir. Quelle horreur…

    Et aujourd’hui… on a en a trouvé un autre.

     

     

     

    — Grégoire Meyer, 36 ans, dis-je, les mains enfoncées dans les poches. Même topo. Langue, oreilles, yeux… On lui a fracassé les jambes, probablement pour éviter qu’il s’enfuie, et on l’a roué de coups, a priori à mort. Quel gâchis.

    Je me tourne vers le commissaire Bichardier. Je vous mens pas, il finissait d’engloutir un sandwich grand comme mon bras. Je veux bien qu’on soit dans le Sud de la France, dans un beau champ de vignes sous un beau soleil d’été qui plus est, mais il y a des limites.

    — Commissaire, s’il vous plaît. On est sur une scène de crime, là.

    — Ne soyez pas impertinente, Samiah. À mon âge, on peut manger et réfléchir en même temps.

    — Vous m’en direz tant.

    Le commissaire ignore ma remarque et se penche au-dessus de la dépouille. Il fronce les sourcils.

    — Il s’appelle Grégoire Meyer, c’est bien ça ? J’avais lu son nom dans le journal, il y a quoi ? Une semaine ? Je ne sais plus pour quoi, mais je vais tâcher de le retrouver.

    Après quelques heures de recherche, je réalise une chose… Meyer avait joué pendant un temps dans le même club de rugby que Chandonnet, la victime précédente. Pas à la même époque, ils ne se sont à vrai dire jamais rencontrés car Meyer avait arrêté à la suite d’une blessure bien avant que Chandonnet s’inscrive. J’ai attrapé la Bichouille, et on a filé au club.

     

     

     

    Nous avons dû patienter une bonne vingtaine de minutes avant qu’Antoine Bartoli, le président, nous reçoive. La salle d’attente était pleine de trophées, grands et petits, et de photographies des équipes. Sur l’une d’entre elles, nous avons reconnu Étienne Chandonnet, et sur une autre Grégoire Meyer.

    Quand la porte du bureau s’est ouverte, nous sommes tombés nez-à-nez avec un homme élancé, et je dois dire très élégant. Une soixante d’années environ à vue d’œil, des cheveux poivre et sel et une barbe bien taillée. À sa gauche se profilait un autre homme, un peu plus petit et plus costaud, et qui avait une paire de lunettes fines sur le nez.

    — Vous êtes de la police ! s’est exclamé le plus petit. Je vous reconnais, vous étiez venus il y a six mois pour le petit Étienne. Ne me dites pas que vous venez encore m’apporter une mauvaise nouvelle !

    — Monsieur Bartoli, ce n’est pas de gaité de cœur, cependant…

    Pendant que je discutais, je surveillais mon merveilleux supérieur, qui avait décidé de s’occuper de l’autre, le grand fin. Il lui a serré la main de façon peu cordiale. — Et vous êtes ? a fait Bichardier. — César Lombardi. Je suis un ami d’Antoine.

    — Vous êtes passé dans le journal, non ? Vous gérez une agence de sécurité, c’est ça ? Vous connaissez Grégoire Meyer, je me trompe ?

    Grande surprise pour tous, mais surtout pour moi. En effet, Grégoire Meyer était apparu aux côtés de son patron Lombardi dans une photo du journal, pour un article sur sa société d’agents de sécurité. Lombardi a dit que c’était une mort tragique, et qu’il espérait qu’on retrouve vite l’assassin. Quant à Bartoli, il s’est lamenté que Grégoire était un bon gars tout à fait banal, qu’il ne l’avait plus revu depuis des mois, et qu’il comprenait pas ce qu’on voulait à son club. Bichardier et moi, on est repartis bredouilles. Mouais… quand un gars est tout à fait banal, à nouveau, on le retrouve pas découpé façon buffet campagnard.

     

     

     

    Et aujourd’hui… une troisième victime, dans un troisième champ de vigne. Pas d’oreilles, pas d’yeux, pas de langue, les jambes détruites et le corps massacré. Je n’en peux plus de ce spectacle affligeant. D’abord je le vois en direct, et ensuite il s’imprime sur mes paupières quand j’essaie de dormir. En inspectant la dépouille, je ne peux m’empêcher de penser qu’une guirlande de cadavres mutilés se pose sur Bandol. Je me demande aussi ce que ces tarés peuvent bien faire de trois langues, trois paires d’yeux et trois paires d’oreilles… L’absence de ces organes me complique la tâche, mais je finis par reconnaître mon mort : je l’ai vu sur l’une des photos du club de rugby. Et surtout, à côté de Grégoire Meyer, la deuxième victime. L’étau se resserre.

    — Samiah ! me hèle Bichardier. Venez par ici, je vous prie !

    Étant une Samiah fidèle et loyale, je m’exécute. Le commissaire m’explique alors que notre macchabée se nomme Xavier Michelli. Je lui confirme qu’il faisait bien partie du club rugby, et le chef, lui, il est sûr qu’il bossait pour César Lombardi. Trois victimes liées par le rugby, et deux d’entre elles par lui… qu’est-ce que ça signifie ?

     

     

     

    On se rend à l’agence de Lombardi pour obtenir des explications. Il est dans son bureau. À peine Bichardier lui bombarde-t-il le décès de Michelli que César Lombardi se rapetisse dans son fauteuil et commence à paniquer. Et là, il passe aux aveux. Et quels aveux ! À plusieurs reprises, il a refusé de collaborer avec des malfrats. Ils sont revenus le menacer, et finalement ils sont passés à l’acte. Et ils ont découpé deux de ses plus fidèles gars : Grégoire et Xavier. Mais quid d’Étienne Chandonnet ?

    — Ça, je l’ignore, admet-il. Je ne sais même pas qui c’est.

    Quoi qu’il en soit, le Lombardi, mine de rien, maintenant il craint pour sa vie. C’est vrai qu’après des mois d’accalmie pour passer au rythme d’un meurtre par jour, il a peur d’y passer ce soir. Bichardier, lui, ça lui passe à des kilomètres au-dessus de la tête. Il est obsédé par les cadres-photos qui décorent le bureau.

    — Votre femme s’est fait refaire le nez ? demande-t-il, nonchalant.

    — J’étais chirurgien, avant. Mais c’est loin derrière moi, maintenant.

     

     

     

    Il est tard, et qui c’est que la Bichouille a affecté à la protection de César Lombardi ? C’est bibi !

    Elle est cosy, sa baraque. Il a du goût pour l’art contemporain. De beaux tableaux, quelques petites sculptures… Je fais plusieurs fois le tour de la propriété pour m’assurer que tout va bien. Et, effectivement, tout va bien. Il est minuit, et monsieur et madame Lombardi ronflent sévère. Du coup, c’est juste moi. Moi et ma fidèle pétoire. Mon portable vibre. C’est Bichardier. Je sors dans le jardin et je décroche. Il me dit qu’il est déjà en route car il y a un truc qui colle pas entre les meurtres : Étienne Chandonnet s’est fait découper méthodiquement, tandis que les deux autres ont été victimes d’un tortionnaire beaucoup moins habile et beaucoup plus sadique. Comme il me dit ça, je ressens une douleur intense sur le sommet du crâne.

     

     

     

    — Samiah ! Samiah, debout !

    Je me réveille, face contre terre, la bouche dans le gazon. Bichardier me secoue pour me sortir des vapes. Je regrette sa sollicitude car ma tête me fait aussitôt un mal de chien. J’ai l’impression qu’elle va exploser.

    À peine me relevé-je que nous voyons mes agresseurs sortir de la maison, tirant César Lombardi par le bras. Ses jambes sont tordues dans un sens non conventionnel. En nous apercevant, les tueurs, armés d’un couteau chacun, stoppent net. À la lumière des lampadaires, j’en reconnais un : Jeanne Chandonnet, la maman d’Étienne. Le grand gaillard qui l’accompagne ressemble à Étienne, mais en bien plus baraqué. J’en déduis qu’il s’agit de son frère.

    Jeanne aussi nous a reconnus. Je brandis mon révolver, lui interdisant d’aller plus loin. Bichardier a deviné la manigance (c’est pour ça qu’il est le patron, après tout). César Lombardi n’a jamais été approché par des malfrats, puisque c’est lui, le criminel, et il recrutait ses nervis parmi le club de rugby. Des gens comme Grégoire Meyer et Xavier Michelli qui faisaient son sale boulot. Un jour, Grégoire passe au club et repère Étienne. Bosser comme agent de sécurité, ça aide pour la gendarmerie, alors Grégoire et Xavier lui proposent un coup de piston en échange de son aide. Étienne, avec son sens de la justice, veut les dénoncer, alors ils l’enlèvent, le ratatinent, et Lombardi, de par son passé de chirurgien, lui retire les yeux, les oreilles et la langue.

    Par la suite, Jeanne veut se venger, et ainsi elle inflige aux assassins de son enfant ce qu’il a subi. Les yeux, les oreilles, la langue, la vigne… Un message pour Lombardi, qui est à présent le dernier sur une liste de salopards qui l’ont bien mérité. Sur le coup, moi, je suis groggy. Je sais pas quoi faire. Parce que oui, César Lombardi mérite de payer… mais je ne peux pas tolérer que Jeanne et le frère d’Étienne rendent la justice eux-mêmes. Le frère n’hésite plus. Il lève son couteau mais il n’a pas le temps de le planter dans la carotide de Lombardi que je tire. La balle lui perfore la cage thoracique, et il s’écroule. Mon regard croise celui de Jeanne. Cinquante ans, vivante à l’extérieur et morte à l’intérieur. Il n’y a plus rien en elle à part le désespoir. Je lui dis de ne pas faire cela. Elle lève le couteau. Je tire encore.

    J’observe le résultat. Un blessé, deux morts de plus dans cette triste histoire. Bichardier me pose la main sur l’épaule pour me réconforter. Je sais que rien ne les aurait arrêtés, et j’essaie de me justifier auprès de ma conscience en me disant qu’ils sont enfin réunis avec Étienne mais je me donne juste la gerbe. J’ai probablement sauvé une pourriture, juste pour faire mon job… cependant je n’arrive pas à me sortit de la tête que, quelque part, je n’ai pas fait le bon choix. Ou peut-être que si. Ou alors vraiment pas.


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