• CHAPITRE 5 : FIANCHETTO

    Tout va de mal en pis ! Acculés par Lumiya et un pirate aussi mystérieux qu'étrange, les mercenaires vont devoir se battre s'ils désirent conserver leur butin durement acquis ! Et s'ils s'en sortent indemnes, devraient-ils suivre les indices qui les mènent à nouveau sur la piste de la chevalière ?

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    CHAPITRE 5 : FIANCHETTO

     

                C’est la panique ! Vingt gobelins prêts à en découdre ! Vingt loups massifs prêts à manger ! Une mercenaire implacable ! Un tireur embusqué caché dans les arbres ! Ce qui fait un total de quarante-deux ennemis… pour cinq jeunes aventuriers en pleine forme, un Toranien à terre, et un Émeu Commun bruyant au possible. La lumière du soleil du début d’après-midi frappe toute la clairière de sa chaleur accablante.

    — C’est mal barré, c’est mal barré, c’est mal barré…

    — Grosmanu !

             Amélie et Georges accourent en direction de Grosmanu, qui fait signe à la première de ne pas s’inquiéter.

    — La balle est ressortie, tousse-t-il. Je vais bien.

             La jeune Elfe hoche la tête, et retourne auprès de ses camarades, faire face à la déferlante verte vêtue de cuir et armée de fer rouillé. Le Toranien se redresse, sous le regard inquiet de Georges.

    — Y en a qu’un seul qui tire comme ça…

             Il secoue vivement la tête, et va prêter main-forte à ses camarades, qui croulent déjà sous la masse des vicieux bandits verdâtres. Son arrivée est fracassante, à juste titre : tête baissée, il fonce sur un gobelin, et l’envoie valdinguer d’un puissant coup de cornes.

    — Eh bah voilààà ! Ça débaroussaille déjà un peu plus !

    — Tu sais quoi, mon vieux ? dit Mickaël en lui donnant une claque sur l’omoplate. J’vais passer l’éponge sur toutes ces horreurs que tu débites pour le combat.

    — Trop z’affable.

    — De rien.

           Amélie enfonce son bâton dans le ventre d’un ennemi, le pliant en deux, et l’achève d’un coup sur la nuque.

    — Saletés de bestioles !

    — Techniquement ce sont des humanoïdes, la corrige Kieran en assénant un redoutable coup d’encyclopédie sur le gobelin le plus proche.

    — Et alors ?

    — Rien, c’était juste pour information.

    — Ça m’fait une belle jambe, tiens.

              Arnaud bondit et aplatit un adversaire d’un coup de marteau, puis en propulse un autre en arrière grâce au revers. Remarquant que les gobelins seuls sont incapables de venir à bout de leurs opposants, Lumiya se tourne vers Dan et Ed, restés à ses côtés.

    — Envoyez les loups.

           Ils opinent du chef, aboient quelques ordres dans une langue gutturale et les canidés dentus et malodorants se ruent sur les aventuriers, tous crocs et bave dehors. L’un d’entre eux se jette sur Amélie, mais Vincent l’intercepte et le plaque au sol avant d’en finir.

    — Ils ont lâché les chiens, à présent !

    — On s’en sort pas !

    — Meeeuuuh si, on s’en sort !

             Georges bondit de gobelin en gobelin, leur frappant le crâne de son bec dur comme l’airain. Grosmanu se débarrasse d’un autre adversaire et dégaine son fusil. Lumiya est en plein dans sa ligne de mire. Il inspire. Il charge. Il expire. Il presse la gâchette. La balle fuse à une vitesse fulgurante. Elle est sur le point de toucher sa cible en pleine tête. Une autre détonation retentit et la dévie de sa trajectoire, l’envoyant se ficher dans le sol.

    — Zut.

             Camouflé dans le feuillage des arbres, le Pirate esquisse un sourire de loup, et recharge son fusil.

    — Oh, Grosmanu, kssshéhéhé, tu me vexerais presque.

     

     

     

                Il est impressionnant de constater que les gobelins et loups, en dépit de leur incontestable supériorité numérique, sont incapables d’avoir l’ascendant sur les six mercenaires et le poulet de combat. Il subsiste encore neuf bandits et quinze de leurs montures, et c’est seulement maintenant que leur avantage commence à peser. Les ouvertures des six compagnons se font plus fréquentes, l’épuisement se fait sentir. Les blessures commencent à faire leur apparition, sous forme d’égratignures dégoûtantes, de lacérations grossières, et de perforations dégoulinantes.

    — J’en peux plus, râle Arnaud. Ils me fatiguent…

    — Tiens encore un peu, on va bien finir par les démoraliser ! Certainement… Sûrement…

          Soudain, un torrent de flammes engloutit trois gobelins et deux loups, les carbonisant intégralement. Lumiya s’avance vers le groupe, sa main gantée tendue devant elle. Les survivants s’écartent de son chemin, espérant éviter le sort qu’ont subi leurs camarades.

    — Vous m’insupportez, dit-elle d’un ton détaché.

    — Allons bon, la mégère s’en mêle, fait Mickaël. Écoute bien, cocotte ! On n’a pas eu une journée facile ! Alors me cherche pas !

    — Donnez-moi les cendres.

    — Oooh mais elle va pas m’gonfler longtemps, la rouquine, là !

    — Elle est brune, précise Vincent.

    — Vincent, mon petit, fait Kieran, je ne voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier, le rat de bibliothèque parfois rude reste courtois mais, la vérité m’oblige à te le dire : la brunette commence aussi à me les briser MENU.

           Pour preuve de son agacement, le semi-démon lève bien haut sa lourde encyclopédie, indiquant qu’elle est armée et qu’il n’hésitera pas à s’en servir. En réponse, une boule enflammée le percute en plein torse et l’envoie au sol, et son épais ouvrage lui retombe sur la tête.

    — Amateurs, siffle Lumiya.

    — Écoute, clochette, réplique Grosmanu, quoiqu’il arrive, on va te botter les fesses, alors facilite-nous les choses, et raye-toi.

    — Laisse-moi faire ! J’ai un compte à régler avec elle ! s’exclame Mickaël.

             Sans attendre plus longtemps, Mickaël lance un rayon enflammé sur Lumiya, qui le bloque sans peine à l’aide de son gant.

    — Ne joue pas à ça avec moi, gamin.

             Il recommence et elle absorbe à nouveau le choc.

    — Imbécile.

             Des arcs enflammés relient ses doigts griffus, une sphère d’énergie se forme au creux de sa paume, et elle l’expédie sur le demi-elfe, qui réussit à la parer avec aise. Mais il ne voit pas venir les trois suivantes, qui le jettent au sol, à côté de Kieran.

    — Maîtresse ! s’écrient les deux sbires gobelins, Dan et Ed.

           Ils lancent un objet cylindrique brillant à la mercenaire, qu’elle récupère dans sa main gauche. Elle le tend alors sur les aventuriers encore debout. Il s’agit d’un sceptre d’or, dont le pommeau est serti de rubis, de saphirs et d’émeraudes. Grosmanu blêmit. D’instinct, les gobelins reculent d’un pas fébrile, tandis que les loups préfèrent plus simplement s’enfuir en faisant le plus de raffut possible.

    — D’accord, clochette… Range ça… gentiment…

    — Les cendres. Tout de suite.

    — Bon…

              Le Toranien porte sa main trapue à la ceinture, et dégrafe le petit sac.

    — Grosmanu ! s’insurge Vincent. Ça va pas ?! Tu vas pas lui filer, quand même !

    — Pas le choix. Ne faites pas de zeste brusque…

    — C’est qu’un bâton doré !

    — C’est l’un des Sceptres de Crios. Donc faites pas de bêtises. Sont hyper dang’reux ces trucs. C’est bourré de magie…

             Obtempérant, Grosmanu envoie le petit sac de cendres à Lumiya, qui le réceptionne dans sa main gantée. Elle le soupèse et le tâte brièvement, ce faisant vérifiant le contenu. Elle fronce les sourcils, même si cela lui paraît bien être ce qu’elle recherche.

    — Ok, Gros, maintenant tu sais qu’on n’a plus rien pour se défendre ? signale Arnaud. Elle peut nous vaporiser comme elle le veut !

    — Meeeuuuh non. C’est prévu.

    — Menteur. T’as rien dans l’crâne des fois !

    — T’inquiète, clochette, ça va être sa fête.

            La prophétie du Toranien se réalise aussitôt. Georges jaillit de nulle part et s’agrippe aux épaules de Lumiya, et la gratifie d’un solide coup de bec sur le gantelet. La mercenaire pousse un cri de douleur, lâchant et le sac de cendres, et le sceptre, rejetant l’infâme Émeu Commun en arrière d’un mouvement d’épaules. Le bâton roule près des gobelins, qui, effrayés par le potentiel magique de l’objet, s’enfuient à toutes jambes et disparaissent dans les bois. Amélie profite de l’opportunité et se jette sur les cendres, mais Lumiya se ressaisit à temps et réussit à l’agripper par la nuque. L’Elfe lance de justesse le sac à Grosmanu. Le Toranien le récupère à deux mains alors que la mercenaire aux cheveux noirs ramasse le sceptre.

    — Donnez-moi les cendres, ordonne-t-elle en plaquant le pommeau du bâton sur la mâchoire de Amélie. Donnez-les moi immédiatement. Je ne le répéterai pas.

              Grosmanu replace le sac à sa taille et tend son fusil sur la jeune femme.

    — Vas-y, siffle-t-il entre ses grosses dents carrées. Vas-y, fais-moi plaisir.

              Vincent lui fait baisser le canon de l’arme.

    — Ça va pas ?! C’est mon Amélie, là !

    — Je vois que nous avons là quelqu’un de sensé, fait Lumiya.

    — Donne-lui les cendres, Grosmanu !

              Là, Arnaud et Grosmanu s’insurgent.

    — T’es sérieux ?! Oh, Vincent !

    — Entre notre gagne-pain et ma nana, désolé, mais c’est elle.

    — S’il vous plaît, s’étouffe Amélie, dépêchez-vous de choisir, elle pue le soufre, c’est atroce…

    — Remets-moi les cendres, Vincent, reprend Lumiya. Remets-moi les cendres calmement, et je te promets de te rendre ta fiancée. Donne-moi simplement les cendres, et…

    — Rends-la moi !

             Vincent bondit sur Lumiya. Une dernière détonation retentit et une balle perfore sa cuisse, le faisant tomber à mi-chemin. La mercenaire resserre la jeune Elfe contre elle, et appuie ensuite sur le rubis surmontant le pommeau du sceptre. Un disque noir nébuleux d’un mètre de rayon se matérialise derrière elle, et elle s’engouffre dedans, disparaissant avec son précieux otage, sous le regard désespéré de Vincent.

     

     

     

              Un silence de mort s’étale peu à peu dans la clairière. Mickaël, Kieran, Georges, et Vincent sont à terre. Seuls sont encore debout Arnaud, Grosmanu, et les ruines, qui ont l’air en bien meilleur état que ces deux-là. Les corps des loups et des gobelins les entourent, disposés en une nature morte glauque. Il n’y a que le silence rythmé par les hauts et les bas des sanglots de Vincent. Après quelques instants passés à souffler, le Toranien et le grand Nain décident de relever leurs camarades. Ils les époussettent à la va-vite.

    — Eh bah… Vous êtes dans un piteux état…

    — Sans blague, répond Kieran. Paraît que je me suis pris le bouquin dans la tête, t’étais pas au courant ?

    — Décidément, je déteste cette femme, peste Mickaël en s’essuyant le visage d’un revers de manche. Je la déteste, je la déteste, je la déteste… Et je la déteste. Bon, on fait quoi ?

            Georges, qui avait la tête plantée dans le sol, sort de son trou et se secoue vigoureusement pour éjecter la terre accrochée à ses plumes. Grosmanu s’assoit sur une pierre non loin et prend son crâne cornu entre les mains. Un flot bouillonnant de questions rugit dans son cerveau. Lumiya Vonraken, et le Pirate. C’était lui, tout à l’heure. Pas de doute. Il avait pu le sentir. Il n’y a que lui pour tirer aussi précisément, aussi mortellement. S’il travaille avec Lumiya, c’est qu’ils font tous deux partie du WTF… À moins que… Non, ce n’était pas des sbires du WTF, plutôt des canailles gobelines au rabais trouvées dans une basse-cour.
             Il frissonne. Vincent ne cesse de beugler son désespoir, et cela l’agace. Mais pas autant que ses camarades, semblerait-il.

    — Vincent ! Arrête de gémir ! intime Mickaël.

    — T’inquiète, je m’en occupe, le rassure Kieran. Eh, Vincent.

             Le costaud se retourne et reçoit un puissant coup d’encyclopédie dans la figure. Il cligne des yeux deux fois, et s’écroule, son esprit parti dans le monde des rêves comateux.

    — Je kiffe cette encyclopédie, en fait.

    — Il me fait peine, de le voir dans cet état, soupire Arnaud. Mais au moins, on n’a plus mal aux oreilles. Bon, Grosmanu, on fait quoi ?

    — Hum… rumine le Toranien. Vous avez rien remorqué de bizarre chez cette femme ?

    — Non, pas plus que toi, je pense, fait Mickaël.

    — Comment sait-elle pour les cendres ? questionne Kieran. Si elle bossait vraiment pour le Ministre, je pense qu’elle aurait essayé de trouver un accord… non ?

             Le regard de Grosmanu lui fait comprendre que non.

    — Bon…

    — On va partir du principe qu’elle ne bosse pas pour le Premier Laquais. Son demanditaire ne sait pas qu’on sait que la vraie blague existe réellement.

    — On devrait faire encore plus compliqué, tiens ! s’exclame Mickaël. Il ne sait pas qu’on sait qu’il ne sait pas qu’on sait qu’il ne sait pas qu’on sait qu’il ne sait pas qu’on sait que la chevalière existe réellement.

    — … Ouais, si tu veux… Donc, sans interception, je continue. Si on va chercher la blague, on peut cintrer.

    — Cintrer ?

    — Ouaip, les dupler.

    — … Duper ? Comment ça ?

    — On file les cendres à Lumiya, et on garde la blague, et voilà !

    — Mais comment la retrouver ?

    — Mmh… Je sais pas…

             Georges éternue et jure dans son langage unique.

    — Côt ! Côt côt côt ! Côt côt côt côt côt !

    — Qu’est-ce qu’il dit ? demande Arnaud.

    — Il mugit que…

              Grosmanu s’interrompt en plein milieu de la phrase. Son esprit est parti ailleurs. Georges dit qu’il a une horrible odeur de soufre dans le bec… Du soufre… Amélie a mentionné du soufre…

    — Mais oui ! se réjouit-il d’un bond. C’est ça !

    — Tu veux bien nous éclairer, là ?

    — Je sais où se trouve Amélie !

     

              Lumiya apparaît en plein milieu du hall de la citadelle de Dreadstadt. Elle jette Amélie sur le tapis violet bordé d’or.

    — Sorcière ! crache l’Elfe.

    — Lumiya… qu’est-ce que c’est que ça ?

             Amélie se relève, et se tourne vers l’origine de la voix. Un homme aux longs cheveux noirs et dont le visage est couvert d’un masque d’acier descend l’escalier se dressant face à elle.

    — Vous êtes qui ?

    — Lumiya… Tu m’expliques ?

    — Comte. Il y a eu une… complication, répond la mercenaire.

    — Je suppose que c’est une grosse complication, oui, parce que récupérer une Elfe à la place d’un sac de cendres…

    — C’est… c’est vous, le comte Arkz ?

          Exaspéré, l’aristocrate masqué se retourne et frappe la jeune Elfe en plein visage, l’envoyant en arrière. Ses lunettes glissent et crissent sur le sol en damier.

    — La ferme, Elfe. Je vais m’occuper de toi.

    — Je l’ai prise comme otage, poursuit Lumiya.

    — Ta petite fantaisie peut me coûter très cher, tu en as conscience ?

    — C’est que… Ils viendront la chercher.

    — Oui, ils viendront la chercher, c’est évident. La question, c’est : quand viendront-ils la chercher ? S’ils tardent, tout mon projet est en péril.

    — Vous êtes mal barré, comte ! lance alors Amélie en se redressant de moitié et en essuyant le sang de sa bouche.

            Arkz tourne lentement la tête vers la jeune fille. Lumiya s’écarte, ses poils se hérissant comme ceux d’un animal sentant la tempête arriver.

    — Mal barré, dis-tu ?

            Il se dirige vers l’Elfe encore à terre. Le rythme de ses pas est posé. Ses bottes claquent contre le sol. Il se baisse, agrippe de sa main gantée le cou de Amélie, et la relève jusqu’au niveau de son visage masqué.

    — Mal barré ? répète-t-il. Tu me crois donc si peu pourvu d’imagination ?

    — Quand mes potes vont s’ramener, ils vont te botter les fesses.

    — Oh, je n’en doute pas un seul instant… Amélie.

             Il resserre ses doigts autour de sa gorge tandis qu’elle écarquille les yeux, stupéfiée par ce qu’elle vient d’entendre : comment connaît-il son nom ?

    — Oh, oui, poursuit-il. Je sais tout de vous…

    — Comment…

    — Vincent, Kieran, Arnaud, Mickaël, Grosmanu, et même cet animal, Georges…  Vous pensiez m’être inconnus ? Vous pensiez être capables d’échapper à votre rôle ? Mais, ma chérie… ».

             Il affirme encore davantage sa poigne.

    — Bientôt, Amélie, bientôt, je saurai penser exactement de la façon dont vous pensez. Bientôt, tu seras ma petite marionnette de bois.

    — Plutôt mourir…

           Malgré la peur qui fait frissonner tout son être, Amélie ne peut s’empêcher de fixer le regard d’or envoûtant du comte.

    — Ils, articule-t-elle en dépit du manque d’air, ils… ils viendront… je le sais…

    — Moi aussi.

     

     

     

    — Je suis dégonflé ! beugle Grosmanu.

            Harassé, le Toranien se laisse tomber sur un caillou, imité par Georges. Arnaud et Mickaël avancent de quelques pas supplémentaires, tirant chacun une jambe de Vincent encore inconscient.

    — Le soleil aura bientôt disparu… souffle Kieran, qui traîne toujours son encyclopédie derrière lui.

    — Eh bah on fera du camping ! rétorque Mickaël. Une bonne petite sieste à la belle étoile ! Entourés que nous serons par d’innombrables animaux qui n’attendent que notre assoupissement pour nous égorger et nous dévorer ! Ah, j’aime la vie d’aventurier !

    — Pas que des animals, complète Grosmanu.

    — Ah ouais ? s’étonne Arnaud en lâchant son fardeau. Quoi d’autre ?

    — Des cyclopes, des harpies, des satyres… entre autres.

    — Entre autres ?!

    — Allez, assoidez-vous. On va pas tarder à faire un feu.

            Les compagnons hésitent. Certes, il y a désormais un danger quasi-omniprésent, mais ils sont bien trop fatigués pour aller plus en avant. Les muscles sont raidis par la marche et engourdis par les blessures, leurs jointures craquent à chaque mouvement un peu brusque, et le sang séché s’écaille sur leurs corps, englué qu’il est aux vêtements et aux pièces d’armure.
            Ils s’effondrent littéralement contre la terre amollie par l’humidité ambiante de la forêt et qui accroit sensiblement la sensation de lourdeur et d’étouffement qu’ils ressentent.

    — Raaah… J’ai p’us envie d’bouger… râle Arnaud. Je peux p’us bouger…

    — ’ous ’on p’us…

             Dans un effort intense, Grosmanu se relève.

    — J’vais chercher de la boiserie pour l’feu…

    — Ook, on te suit mentalement…

          Grosmanu s’enfonce dans les taillis, laissant son petit groupe sous la seule surveillance somnolente de Georges. Arnaud réussit à se hisser sur une racine épaisse et à s’y faire une place assez inconfortable pour s’y reposer calmement. Juste quelques secondes. Les minutes se succèdent, interminables… in…lassables… … in…fi…nies… … … in…

     

     

     

                … in… il fait… chaud… chaud… Arnaud fait un effort surhumain. Un grincement rocailleux. Ses paupières s’ouvrent de moitié. Un feu éclatant illumine les alentours. Il y a même des petits animaux en train de rôtir dans les flammes, enfilés sur des broches rudimentaires, que Grosmanu fait tourner à intervalles réguliers.

    — Ah bah t’es réveillé ! C’était un sacré roupillon ça !

            Arnaud se frotte les yeux, le temps que les paroles du Toranien remontent jusqu’à son cerveau.

    — Ouais… finit-il par maugréer… Où sont les autres ?

    — Vincent pionce toujours, Mickaël est allé au p’tit angle, Kieran bouquine, et Georges est allé se trouver des graines et des trucs de végétariens à boustifailler.

           Kieran, ne décrochant pas ses yeux de l’encyclopédie, lui fait un petit signe de le main tandis qu’il se redresse jusqu’à être complètement assis sur sa racine.

    — Il fait super chaud, marmonne-t-il en commençant à ôter des parties de sa pesante armure.

    — C’est l’été. Il doit faire trente gredés cestius.

    — Cestius ? Celsius, nan ?

    — Non non, cestius. C’est du nom du mecton qu’a invinté ça. Chez meuh, en Toranie, il doit faire encore plus calorifique. Trente-cinq, quarante p’têtre…

    — Wouha… Et le… le feu, ça va pas attirer des bêtes, non ?

               Grosmanu cesse de tourner la broche et pose son fusil sur les genoux en souriant.

    — J’ai ça, bwahaha…

    — Tiens, comment ça se fait qu’ici, personne n’a de carabine comme toi ? Le seul autre qui en avait une, qu’on a “croisé”, c’était tout à l’heure au tombeau. Tout le reste, c’est des arcs et des arbalètes.

             Le seul autre… Satané pirate…

    — Question de cultivations.

    — Cultures, Gros ! Cultures ! le corrige Mickaël en sortant des bois.

            Le demi-elfe prend place sur une pierre plate près du feu, extasié de voir que les flammes n’ont pas faibli depuis son départ.

    — Où est Kieran ?

    — Toujours occupé. Hé, mon feu marche bien, en plus ! C’est cool, la magie, en fait.

    — Voilà, reprend Grosmanu, exemple genre !

    — De quoi ?

    — Comment mugir… En fait, la magie ne fonctionne pas de partout pareil… En Toranie et dans les îles trolles, les flux magiques sont très faibles, donc on compte sur une technologie plus avancée. Ici, ils ont de la magie, donc ils s’en balancent, de la technologie. En Toranie, on aurait fait du feu à la dextre. Ici, ils le font à la magie.

    — D’aaaccord, ça explique beaucoup de choses.

    — Ah bon ?

    — Non, je disais ça pour un effet de style. C’était stylé ?

    — Hum… Tais-toi.

     

     

     

                Le feu éclaire toujours leur campement de fortune. Vincent n’a pas encore franchi la frontière de son petit pays des rêves. Il semblerait qu’il n’ait pas assez de conscience pour passer le péage de la réalité. Les autres dégustent leur frugal repas sauvage. Ils le savourent, même. Ils mâchent avec délicatesse, tirant tout le jus de la viande, toutes ses protéines, tout son fer, tous ses lipides, et, oooooh, tout son bon cholestérol. Il est vrai que la vie d’aventurier, ce n’est pas non plus la diététique la plus flamboyante ! Manger comme un roi le matin, comme un prince le midi, comme un pauvre le soir, c’est contre-indiqué par le Syndicat des Aventuriers. Il faut manger vitaminé, il faut manger naturel, il faut manger local. Et rien n’est plus vitaminé, naturel, et local, qu’un animal sauvage.

    — Ch’est bon, cha ! Qu’est-che que ch’est ? demande Arnaud.

    — Aucune idée ! répond Grosmanu. Ça avait une bonne tête !

    — … Donc t’en sais rien si c’est venimeux ou une bêtise du genre ?

    — Vénéneux, le corrige Kieran.

    — Vénéneux, c’est pour les plantes, non ? Venimeux, c’est pour les animaux !

    — La chair est vénéneuse.

    — Ah… Bref ! Donc t’en sais rien ? reprend-il à l’attention du Toranien.

    — Nope, répond tranquillement le concerné qui ne se le sent pas le moins du monde. T’inquiète, clochette. Chais c’que j’fais.

    — Bon, au moins, c’est pas des insectes…

             Grosmanu soupire et lève un regard mélancolique vers la lune. Georges se love au bord du foyer, roucoulant quiètement, pour une fois.

    — C’est casse-cornes, cette histoire de blague… J’vais louper la Fête de l’Éclipse…

    — C’est important ?

    — Nan, c’est juste qu’y a beaucoup plein de boissons, et de jolies génisses.

    — Ah… C’est quand ?

    — Dans, euh… Trois jours.

    — Ok ok.

    — Bon, c’est pas tout, ça, mais faut qu’on établisse une stratégie pour récupérer Améluche, nous, lance Mickaël en cherchant où s’essuyer les mains. Dites, comment on s’essuie, là ? Manger avec les mains, c’est sympa, mais c’est un peu salissant, quand même. Non, c’est bon, j’ai trouvé.

             Il attrape les fripes de Vincent et les chiffonne jusqu’à se sentir plus propre.

    — Donc, je disais, comment qu’on fait ?

    — On frappe, explique Kieran, et on entre.

    — Je préfère on entre puis on frappe, rétorque Arnaud.

    — On peut le faire aussi. On frappe, on entre, on frappe.

    — Ça se tient. J’aime la simplicité.

    — Mais ils sont certainement un bon paquet, les interrompt Mickaël. Si c’est bien à Dreadstadt qu’elle se trouve, ça veut dire qu’on va devoir se mettre dessus avec une sacrée garnison sacrément d’élite ! Et paraît que les soldats de là-bas, c’est des balèzes.

    — Les meilleurs, en fait, précise Kieran. Quelqu’un veut mon truc ? J’en veux plus.

    — Moi ! fait Arnaud.

    — Tiens.

    — Merciii !

    — Tu débloques ? hallucine Mickaël.

    — C’est ce que disait la comtesse Prall. Ce sont les meilleurs.

    — Et Arkz ? Parce qu’on se jette dans la gueule du loup, quand même, donc faut s’attendre à lui tomber dessus ! Tu l’as déjà vu, Gros ?

              Grosmanu tourne ses yeux de bovinidé vers Mickaël.

    — Non. Je connais qu’il ne précise pas beaucoup bien le Premier Laquais.

    — Tu sais comment ça se passait à peu près avec le roi ?

    — Non plus. Je sais juste qu’Arkz est le plus jeune des connétables.

    — Ah ouais ?

    — Dreadstadt n’existe que depuis l’arrivée d’Arkz à Safirel, il y a quoi… une dizaine de brosses.

    — Brosses… brosses… Hum, brosses… brosses, balais… Balais, ans… années ! Wou-hou ! Je suis le meilleur à Pyramide ! Désolé, continue.

    — Arkz n’est pas un politichien. C’est avant toutou un guerrier. Après, jeuh ne serai pas vous en mugir plus que la duchesse.

    — Même si cette déclaration avait quelque chose de cabotin, elle ne nous avance pas beaucoup…

    — On avisera demain, quand on aura la tête plus claire, conclut Kieran. N’oubliez pas de changer vos bandages, faut pas que les blessures s’infectent.

     

     

     

                Lumiya ouvre la porte des geôles, suivie de Dan et Ed portant une bassine en bronze remplie d’eau, et des chiffons, laissant un fin rai lumineux éclairer Amélie avant de la plonger à nouveau dans les ténèbres. L’Elfe est suspendue à des chaînes fixées au mur, ses chevilles et ses poignets menottés. Tenant une chandelle, la mercenaire inspecte rapidement le corps meurtri de la jeune fille, avant d’intimer à ses subordonnés de les laisser seules. Elle dépose la torche dans un anneau prévu à cet effet, éclaircissant la prisonnière à demi-inconsciente. Elle s’empare d’un chiffon, le trempe dans la bassine d’eau, l’essore, et le passe sur le front de Amélie.

    — Ma pauvre… souffle-t-elle à demi-mots. Que t’a-t-il fait…?

              Le corps de l’Elfe est parcouru de longues plaies, de lacérations profondes et d’écorchures d’où dégouline en continu un sang épais et sombre. Lumiya rince grossièrement le chiffon dans la bassine, et recommence à éponger les traces de blessures. Peu à peu, Amélie retrouve un aspect présentable. Si l’on fait abstraction de ses cheveux désordonnés. Et de ses lunettes cassées. Et de ses contusions très étendues. On dirait qu’elle a été attaquée par un animal sauvage, un genre de fauve animé par l’envie de faire mal pour le plaisir.

    — Qu’est-ce qu’il t’a fait…

          Amélie secoue soudain la tête et tente sauvagement de se libérer de ses liens durant quelques courtes secondes, faisant sursauter la mercenaire.

    — Dé… dégage, lâche l’Elfe d’une voix pâteuse.

    — Je suis juste là pour te nettoyer un peu…

    — Fous… le camp… Laisse-moi…

    — Attends, laisse-toi faire… Là… voilà…

             Trop exténuée pour pouvoir réagir, Amélie laisse Lumiya la désinfecter, essayant plutôt de se concentrer pour retrouver ses esprits et être capable d’aligner trois pensées cohérentes.

    — Il va vraiment trop loin…

    — Pourquoi tu fais ça ? T’es pas obligée…

    — Le comte et moi ne partageons pas le même point de vue sur les prisonniers. Ne bouge pas trop, conserve tes forces.

    — … Qui es-tu vraiment ?

              Lumiya l’attrape vigoureusement par le cou.

    — C’est pas parce que je suis là que je suis ta copine, d’accord ? Toi et moi, on n’a rien à voir.

    — Alors qu’est-ce que tu fais là ?

             Elle la relâche, repose le chiffon, et déroule un rouleau de bandages.

    — Je ne peux pas tolérer les actes du comte en général.

    — Et pourtant tu travailles pour lui ?

    — Nous avons passé un marché. Je travaille pour lui et il me donne ce que je désire.

    — Quoi donc ?

           Elle lui enserre le bras gauche d’un bandage, qu’elle coupe et referme soigneusement. Ensuite, elle étire une nouvelle bande et l’encercle autour d’une autre blessure, soigneusement, délicatement. Trop délicatement pour une mercenaire qui se veut insensible.

    — Qu’est-ce que tu es vraiment ?

    — Tais-toi.

    — J’ai pas beaucoup d’expérience, mais aucun mercenaire ne se soucierait de l’état d’un prisonnier.

              Lumiya ne répond pas, feignant de se concentrer sur les soins primaires qu’elle prodigue à la jeune fille. Il semblerait que l’Elfe n’ait pas entièrement tort. En dépit de ce qu’elle essaie de laisser paraître, la mercenaire n’a pas encore remplacé sa conscience par des rouages de pièces d’or. Ayant terminé, elle ordonne les rouleaux et la bassine sur la table.

    — Il y avait… un homme… commence-t-elle, son regard se perdant progressivement dans les méandres brumeux de ses souvenirs. C’était un ami. Mon ami. Et mon mentor.

              Elle secoue la tête.

    — Il a été assassiné de sang-froid. Le comte m’a proposé de m’aider à retrouver son meurtrier en échange de mes services.

    — Il n’y avait pas d’autres moyens ?

           Elle place une mèche de ses cheveux touffus derrière l’oreille. La lueur vacillante de la torche permet à Amélie de remarque un détail étrange : son pavillon comporte une cicatrice étrange au niveau de l’hélix, comme s’il avait été coupé, ou plutôt chirurgicalement ôté.

    — Non. Pas d’autres. Plus d’autres.

             Elle s’empare de la bassine.

    — Bonne nuit.

             Elle tourne les talons, se dirige vers la porte, et disparaît. Amélie soupire. Elle frissonne. Il fait froid, dans ce cachot. Très froid.

    — C’est une femme fascinante, souffle une voix.

              Les poils de l’Elfe se hérissent sur l’intégralité de son corps tandis que ses paupières s’écarquillent et que ses pupilles se dilatent d’effroi. La main gantée du comte vient caresser sa tête. Terrifiée, elle n’ose pas tourner le regard vers cet homme, non, cet animal, non, ce monstre ! Ce diable.

    — Elle commet des horreurs au nom d’une amitié à jamais disparue. Elle fait le mal pour se faire du bien, et se pardonner de ne pas avoir été là à l’instant qu’il fallait… Sans se douter que cela n’aurait jamais changé le cours du temps.

            Ses yeux d’or flamboient dans le noir, unique lumière au bout du tunnel obscur. Il se poste devant Amélie, et la force à lui rendre son regard.

    — Elle me fait penser à une petite souris se débattant entre les griffes d’un chat joueur. Elle livre une dernière lutte agonisante pour éviter de faire face à la réalité. Elle n’est motivée que par le regret et le remords. Par la peur. Par la terreur. Et c’est ainsi que va le monde, Amélie… La peur… la peur est le seul moteur de l’univers.

             Il détourne ses yeux du visage de l’Elfe horrifiée pour fixer la porte par laquelle est sortie Lumiya.

    — Elle ne réalisera qu’à la fin, qu’à la toute fin, qu’elle a été sacrifiée depuis le premier coup. Elle a servi à l’ouverture, elle a servi lors de la prise en passant, elle a servi lors du fianchetto… Son utilité arrive à son terme. Hélas, à mon grand regret, je dois le reconnaître… C’est une fort belle femme… pour quiconque la connaît intimement.

     

     

     

    — CÔÔÔT CÔTICÔT CÔÔT ! CÔÔÔT CÔTICÔT CÔÔT !

              Acte : hymne au soleil. Traduction : c’est le matin. Contexte : c’est effectivement le matin. Responsable : Georges. Réaction immédiate liée à l’acte cité : violente. Conseils : fuis, Georges.
             Il n’a pas le temps, car Grosmanu, Mickaël, Kieran, Arnaud et Vincent se jettent à sa gorge et le secouent dans tous les sens possibles et imaginables.

    — Satané volatile !

    — Oiseau ridicule !

    — Poulet de l’enfer !

    — Je vais t’rôtir, sale autruche !

    — Meeeeuuuuh !

              Ils finissent par le lâcher, suite à quoi il titube sur quelques mètres avant de s’écrouler en hoquetant un “côt” de désarroi.

    — Bon sang ! s’exclame Arnaud. Déjà qu’on n’a pas passé une bonne nuit ! Ces tours de garde, c’est saoulant !

    — T’aurais préféré qu’on dorme quand ces harpies nous ont attaqué ? questionne Kieran.

    — Pour ce qu’on a dormi… Entre les insectes, les bruits, et les ronflements de Grosmanu…

    — Heureusement que Mickaël nous a avertis, elles nous auraient réduits en charpie !

    — Alors que, en fin de compte…

            Ils jettent un regard alentour. Les harpies gisent contre les arbres, dans les branches, sous les pierres, entre les racines noueuses, à demi-enfoncées dans la terre… et il n’y en a pas qu’un peu !

    — C’est vraiment laid, hein ?

    — Une tête de mégère dégarnie et édentée, des ailes de chauve-souris, des serres écailleuses et des jambes velues, sans parler de cette puanteur vomitive… ça fait pas bon ménage…

    — Bon ! intervient Mickaël en se frottant les mains. Une petite douche pour bien se réveiller, et, c’est vrai, hé hé hé… On est en pleine forêt, y a pas de douche ! Ha ha ha ! Que je suis bête ! Mon dieu j’ai l’impression d’être un animal… Et pas de brossage de dents non plus, ho ho ho, on n’est pas loin de ressembler aux harpies, nous, c’est moi qui vous l’dis !

             Grosmanu s’étire, faisant sordidement craquer sa colonne vertébrale et baille.

    — Je vous comprends pas… dit Vincent. Moi, j’ai bien dormi !

              Ils le regardent tous.

    — Bah quoi ? J’ai dit un truc qu’il fallait pas ?

    — … Chut. Tais-toi. Ne dis rien…

    — Bon, les p’tits veaux ! beugle Grosmanu. Changez vos bandages et préparez-vous, parce qu’on part dans cinq minutes !

    — Mais… et le petit-déjeuner ? s’inquiète Mickaël. On n’a pas mangé !

    — On trouvera des noix ou des bêtises du genre en autoroute.

    — Mais… et la douche ?! Je peux pas, je suis dégoûtant, collant, j’ai les cheveux gras, je peux vraiment pas !

    — Je peux te cracher dessus.

    — … charmant…

     

     

     

                Le trajet vers la mystérieuse localisation de la chevalière se déroule bien, au début… jusqu’à ce que Vincent réalise à nouveau que Amélie manque à l’appel. C’est-à-dire quelques minutes après leur départ. Il ne faut pas moins qu’Arnaud et Grosmanu pour le contenir et le ramener à un semblant de raison. Une fois le plan expliqué, les choses sont plus faciles à digérer. L’idée est on ne peut plus simple : ils s’emparent de la chevalière, filent à Dreadstadt pour donner les cendres à Lumiya ou, à défaut, au comte Arkz, récupérer Amélie, et foncer à Olympa dard-dard remettre l’anneau au Premier Ministre.

    — Et vous croyez qu’il va vous laisser filer comme ça ? questionne Vincent sur un ton reprocheur.

    — Nous ! corrige Arnaud. T’es dans le lot, aussi.

    — C’est bien ce qui me dérange !

    — Tu veux la sauver, ta nana, ou pas ?

    — Bien sûr que oui ! Mais pas en me jetant dans la gueule du loup ! Réfléchissez une seconde, enfin ! C’est le bastion de l’ennemi ! On va se pointer, on va se faire rétamer, ils vont prendre les cendres, et la chevalière, et basta !

    — S’ils ont pas déjà tué Amélie, commente Mickaël.

    — Non mais ça va pas de dire ça ?!

    — Bah quoi ? C’est vrai. C’est plus que probable, même.

    — T’es horrible.

    — Bon, Manu ! On en est où, là ?

    — Aucun idéal ! répond le Toranien. J’avance à tontons, j’dois mugir… J’me fie un peu au grand malheur la poisse.

    — Ooooook… Aïe !

    — Quoi ? Qu’est-ce que tu as ?

    — Non, rien… t’en fais pas… un début de migraine, j’ai l’impression…

    — Oh ?

    — Bizarre, moi aussi, bougonne Kieran en se tenant le front dans une main. C’est horrible…

    — Oh oh ! Mais c’est bon, ça !

    — En quoi c’est bon qu’on ait mal au crâne, tu m’expliques ?

    — Mais oui ! s’exclame Arnaud en se tapant dans les mains. Vous êtes des créatures magiques ! Vous réagissez violemment à l’intensité croissante de magie ! Ça veut dire qu’on s’approche, alors !

    — Qu’est-ce t’en sais si c’est magique ?

    — Bah doit pas y avoir deux mille trucs ensorcelés, dans ces bois !

            Grosmanu s’arrête pour réfléchir. Ce n’est pas parce que Mickaël et Kieran ont mal au crâne qu’ils trouveront pour autant la cachette de la chevalière… Mine de rien, ils sont déjà à la moitié de leur délai. Trois jours sur sept… Plus que quatre, donc.

    — Oh ! J’ai une idée ! annonce soudain Vincent.

    — Est-ce qu’elle est bonne ? s’inquiète Kieran.

    — Ça dépend.

    — De quoi ?

    — De votre coopération.

    — … Ça va faire mal ? s’inquiète Mickaël.

    — Ça dépend aussi de votre coopération.

     

     

     

    — Mais qu’est-ce que c’est que cette idée pourrie ?!

    — Tais-toi et souffre.

             Vincent et Arnaud tiennent chacun respectivement Mickaël et Kieran sous le bras, et les tendent, telles des perches, bien droits, rigoureusement parallèles au sol, la tête en avant. La lourde tâche de porter l’encyclopédie incombe donc naturellement à Georges.

    — Nous ne sommes pas des détecteurs de métaux ! Lâchez-nous !

    — Mais tu vas te taire, oui ? Concentre-toi, aie mal au crâne, et indique-nous le chemin !

    — Zut !

    — Quoi ?

    — Je te dis zut !

    — Chut ! Tu n’entends pas la voix de la migraine qui te dit “SOUFFRE !” ?

    — Je veux pas l’entendre, ça fait trop mal !

    — Où, par là ?

              Vincent l’oriente de quarante-cinq degrés sur la droite et Mickaël tente de réprimer une grimace.

    — Oui c’est par là !

    — Good, tu vois quand tu veux ! En route !

    — Non pitié non !

             Ignorant les suppliques de son camarade, Vincent s’élance dans la direction indiquée par les maux de crâne, suivi d’Arnaud et de son propre fardeau, de Grosmanu, et enfin de Georges qui ne sait toujours pas comment faire pour tirer avec lui l’imposant ouvrage… Le traîner avec le bec ? Non, raté…

    — Côôôt ! gémit-il à l’attention de son maître.

    — Qu’est-ce que t’as, toi ?

    — Côôôt côt !

    — M’en fiche.

    — Côt ! Côôt côôôôt ! Côt côt côt !

    — D’accord…

            Grosmanu revient vers lui, prend le livre dans sa main trapue, et s’en retourne rejoindre les autres partis devant, Georges sur ses sabots, sautillant joyeusement et sifflotant, le poids du monde lui ayant été ôté des ailes.

     

     

     

                Kieran et Mickaël réagissent comme de véritables boussoles organiques. Plus le petit groupe approche du but, et plus les corps du semi-démon et du demi-elfe résonnent de magie, les secouant de spasmes d’intensité variable, d’importants maux de tête, et d’hallucinations agitées. Ils débouchent finalement sur une toute petite clairière, au centre de laquelle trône, à leur grande surprise, un temple grec. Un vrai de vrai. Avec des colonnes de style ionique surmontées d’un fronton échancré et orné d’une tête sculptée usée par le temps, vraisemblablement celle d’Arkambor, entourée de quatre petits anneaux. Devant les marches se déroule un chemin pavé bordé de chaque côté d’une haie de statues de pierre représentant, à vue de nez, des humanoïdes dans des poses variées.
             Arnaud et Vincent déposent leurs fardeaux frémissants dans l’herbe et s’accroupissent, silencieusement. Grosmanu les rattrape quelques secondes plus tard, traînant derrière Georges qui siège sur l’encyclopédie.

    — Eh bah ! commente-t-il. J’pensais pas que y avait un temple dans c’te zone du bosquet !

    — Vous auriez pas une aspirine ? demande Kieran. J’ai l’impression d’avoir un marteau-piqueur dans la tête…

    — Un quoi ?

    — Rien, rien… Pour la tête, quoi.

    — Ça va passer, t’inquiète, clochette.

             En effet, Mickaël commence à se sentir mieux : les spasmes ont disparu. La douleur est devenue à peu près tolérable. En revanche, Kieran n’arrive même pas à se tenir à quatre pattes sans trembloter. Grosmanu l’aide à se redresser.

    — Là, respire un grand coup.

    — Vous voulez partir explorer ce truc ?

    — C’est l’seul moyen de savoir si y a c’qu’on perche.

    — Si ça vous dérange pas, je vais rester là…

    — Ça promène… Georges, tu le surveilles, d’accord ?

    — Côt ! affirme l’Émeu Commun en esquissant un salut militaire.

    — Bien. Tous les autres… on y va.

     

     

     

                Grosmanu, Arnaud, Vincent et Mickaël avancent, côte à côte, sur le chemin pavé. Les statues sont saisissantes de réalisme. Hommes, Orques, Elfes, Léonides, et encore d’autres races. Quiconque les a sculptées a su retranscrire, avec une précision mortelle, l’effroi et l’horreur. On peut lire sur ces visages de pierre, encore intacts même après avoir essuyé les intempéries et souffert des affres du temps, une peur indicible et décomposée. Leur bouche est tordue par un cri qui n’a pas eu le temps de sortir, enfoui à jamais au cœur d’une enveloppe de roche. Les yeux grands ouverts aux paupières paralysées, pétrifiés par une image gravée éternellement dans une terreur plus noire et plus profonde que le néant, n’ont de cesse de fixer les quatre compagnons.

    — Brrr, frissonne Vincent. Ça fait froid dans le dos, ces statues…

    — Y a pas à dire, répond Arnaud. Pour être réalistes, elles sont réalistes ! Regardez, sans blague, on dirait des vrais gens !

    — Mais le mec qu’a fait ça, dit Mickaël, il a pas beaucoup d’goût. Ou alors c’est un gothique. Un gothique émo. Un gothique émo dépressif. Un gothique émo dépressif qui n’a pas beaucoup de goût.

    — Comme un chanteur de métal.

    — Préjugé facile qui cependant n’est pas dénué d’une certaine justesse.

             Ils abordent l’escalier qui s’étend jusqu’à l’entrée du temple présumé, et grimpent les marches une à une. Ils se retournent occasionnellement pour vérifier que Kieran ne va pas trop mal, et admirent la majesté des colonnes, qui leur paraissent géantes de près.
             Un silence de mort règne. Telle une peste noire, il a investi les lieux depuis bien des siècles, il a décimé toute vie dans les environs. Les seuls habitants, ce sont ces statues de pierre immobiles, sentinelles témoignant d’une époque révolue.
               Ils atteignent le sommet de l’escalier, et se trouvent sur le seuil de l’entrée. Il n’y a pas de porte seulement une embrassure immense taillée à même la pierre. En jetant un coup d’œil rapide à l’intérieur, ils remarquent que des nombreuses ouvertures rectangulaires dans les murs et au plafond permettent à la lumière d’éclairer le bâtiment plus que ce qu’il n’en faut.

    — C’est vide ?

    — A priori, oui. Allons-y.

             Ils pénètrent dans le temple, et descendent les marches qui s’offrent immédiatement à eux.

    — Franchement, rouspète Grosmanu, c’était bien la peine de les monter !

    — Bien vrai, ça ! C’est quoi, c’t’idée à la noix ?

             C’est en râlant en ces termes qu’ils dévalent la dernière marche. Le chemin n’est pas bien compliqué à suivre : ni corridors tortueux ni pièges mortels ne s’offrent eux cette fois-ci, juste une succession de salles en tous points identiques. Deux choses les intriguent, quelques plumes, blanches, marron, orange et vertes qui jonchent le sol et des statues disposées de façon irrégulière.
             Ils débouchent sur une chambre comportant un fronton gravé qui attire leur attention. Sur la gauche de la fresque, six géants se dressent et marchent, menaçants, vers une multitude d’êtres situés sur la droite. Les géants sont chacun composé d’une texture différente. L’un d’entre eux est fait de flammes, un autre d’eau, celui-là de végétation, celui-ci de fumée… Les deux derniers sont plus difficiles à cerner. Celui le plus à droite n’est ni plus ni moins qu’un homme normal, mais le géant qui le suit, impossible à dire. On dirait seulement qu’il est constitué d’écailles et d’étoiles. Le peuple de droite est, quant à lui, une horde de petits individus qui pourrait être facilement éparpillée par la force de frappe titanesque des six géants, et pourtant, ces êtres ridicules leur font face, identiques à un peuple en révolte contre son abject tyran, et ils sont prêts à aller à la confrontation pour construire un monde dont ils ont depuis longtemps rêvé : une existence libre de toute servitude.

    — Qu’est-ce que c’est que ça… ?

    — Un fronton avec une gravure dedans, répond Mickaël.

    — Merci, génie.

    — De rien, débile.

             Grosmanu dégaine soudain son fusil et inspecte les alentours d’un rapide coup d’œil.

    — Qu’est-ce que t’as ? demande Vincent.

    — Y a quelque chose.

    — Quoi ?

    — Je sais pas. Mais c’est rapide.

    — Encore des harpies ?

    — Plus gros.

    — Un conseil ?

    — Planquez-vous.

            Ils courent se cacher derrière une colonne. Juste à temps, car des silhouettes ailées s’introduisent dans le temple par les fenêtres. Elles se posent au centre de la pièce.
              Il s’agit de trois créatures nues ressemblant à des femmes. Leur dos arbore une paire d’ailes de vautour, leurs pieds sont des serres d’aigle, leurs doigts sont des lames de rasoir, leur peau est de laiton, elles ont des défenses de sanglier dans la bouche et leur chevelure est faite de serpents, rouges pour la première, bleus pour la seconde, et verts pour la dernière.

    — Oh mon Dieu… geint Arnaud. Ce sont des gorgones.

    — Naaaan, réplique Mickaël à voix basse. Les gorgones, ce sont des femmes mi-serpent mi… euh… femme. Bon c’est pas extra mais vous voyez l’idée.

    — L’image de la femme-serpent a été véhiculée par le Choc des Titans de 1981.

    — Ça y est, tu fais ton Kieran ?

    — Celle avec les serpents rouges, c’est Sthéno. Celle avec les serpents bleus, c’est Euryale. La dernière donc, c’est Méduse. Et si je me souviens bien, y a qu’elle qu’est mortelle.

    — Autant ne pas faire de vagues, alors, conclut Vincent. Venez, silencieusement…

    — Attends une seconde. Si ce sont des gorgones, ça veut dire… que… les statues de pierre…

              TA TA TAN !

    — Ce sont de vrais gens pétrifiés !

           En s’écriant ainsi, Mickaël tombe à la renverse, et donc hors de sa cachette. Les trois gorgones tournent immédiatement la tête vers l’origine du bruit, et dévisagent le demi-elfe, s’approchant de lui, intriguées, comme des oiseaux rôdent autour d’une miette de pain avant de se jeter goulûment dessus.

    — Euh… Piou piou ?

    — COUREZ !

           Vincent attrape Mickaël par l’avant-bras et le force à se relever alors que les gorgones déploient leurs ailes et leur fondent dessus. Grosmanu s’interpose en assénant un coup de corne à la plus proche et un coup de crosse à celle qui suit. La troisième lui bondit dessus, enserrant ses poignets entre ses serres et son visage bovin dans ses griffes. Les têtes de serpent s’orientent vers le Toranien tandis que les yeux de la gorgone s’illuminent.

    — Grosmanu ! Bouge, elle va te transformer en pierre !

            Arnaud intervient en expédiant un revers de marteau dans le torse du monstre, l’envoyant en arrière. Grosmanu se ressaisit.

    — Merci vieux.

    — Faut qu’on s’barre, là !

    — Retraite !

     

     

     

    — Côt ? Côt côt ! Côt !

             Georges s’affole. Le corps de Kieran est ravagé par des convulsions dont la violence s’accroit de minute en minute. Complètement paniqué, l’Émeu Commun s’agit dans tous les sens, battant des ailes sur la figure du semi-démon pour le rafraîchir et piaillant des “côt” désespérés.

    — Côt ! Côt ! Côt ! Côt ! Côt !

              Kieran se tient le ventre, à genoux, plié en deux, grimaçant de douleur, n’émettant que de vagues grognements et des râles de souffrance. Sa tête va exploser, il le sent. Son cerveau rebondit contre les parois de sa boîte crânienne. Ses méninges ? Il n’a plus de méninges ! Elles ont fondu ! Une chaleur torride le vrille depuis l’intérieur de ses organes-mêmes. Dans un réflexe savant et doctoral, Georges humidifie le bout de son aile, et le pose sur le front de Kieran, pour la retirer immédiatement en soufflant frénétiquement dessus. Mais… C’est qu’il est brûlant, ce semi-démon ! Incandescent, même !
              … L’herbe qui l’entoure commence à prendre feu… Des craquements lugubres résonnent dans tout son corps. Prenant son courage à deux ailes, Georges se poste devant lui et baisse le cou pour l’observer.

    — Côt ?

              Kieran relève le visage. Ses traits se sont durcis, ses yeux jettent des éclairs et des cornes ont commencé à percer à la base de son front. Il ouvre la bouche. Des flammes jaillissent alors qu’il pousse un rugissement de rage crépitant. Georges hurle. Georges s’enfuit à toutes jambes en direction du temple.

     

     

     

              Dans le temple, justement, l’ambiance est loin d’être joyeuse. Grosmanu, Arnaud, Mickaël et Vincent n’en mènent pas large. La peau de cuivre des gorgones les immunise contre toutes les attaques que tentent de réaliser, en vain, les aventuriers. Leur carcasse est fichtrement résistante, mais n’est cependant pas invincible : la marque du marteau d’Arnaud est profondément incrustée dans le buste de Méduse. Il n’empêche qu’ils n’arrivent pas à repousser les assauts vicieux de ces trois femmes !
              Les coups de griffes fusent de toutes parts, meurtrissant toujours plus leur chair déjà entamée par les sbires de Lumiya.
            Au moins ont-ils rapidement compris que le regard pétrifiant de Méduse… n’est pas inhérent qu’à Méduse, mais bien aussi à ses deux sœurs. Heureusement, la pétrification totale et irrémédiable du corps ne fait effet que lentement, aussi les quatre aventuriers ont-ils largement le temps de sortir du champ de vision des trois furies.

    — On s’en sortira jamais !

    — Elles ne nous lâchent pas, ces saletés !

              Grosmanu tire. La balle se plante dans la carapace d’Euryale, sans occasionner davantage de mal.

    — Mauvaise hémoglobine d’écorce ! peste-t-il. Mais c’est pas vrai, ça !

    — On se replie encore ?

    — Pas le choix !

          Battant à nouveau en retraite, les compagnons débouchent dans la dernière salle, dépourvue de toute issue de secours, au centre de laquelle se dresse un piédestal qui dégagea une lueur intense, aveuglant ainsi tous les arrivants.

    — Qu’est-ce que c’est que cette lumière ?

    — Non mais on s’en fiche ! On a plus important, là !

    — Chut, t’entends pas ?

    — Quoi ?

    — Chut !

             Ils tendent l’oreille, profitant du court répit imposé par la lumière éblouissante. Un cri de peur et des pas précipités et des plumes qui volettent…

    — CÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔÔT !

    — Ah, c’est Georges.

              L’Émeu Commun bondit et atterrit sur la tête de Méduse, gémissant des “côt” terrifiés à tout va… jusqu’à ce qu’il se rende compte de sa position. Tremblotant, il baisse le regard, et se retrouve bec à nez avec la gorgone. Il lâche alors un “gasp” étouffé, pétrifié sur le coup, et tombe lourdement au sol.

    — Georges ! s’écrie Vincent.

    — Du calme, tempère Grosmanu. Il est pas réformé en caillou, il fait juste sa petite diva.

    — Mickaël ! hèle Arnaud. Reviens ici, qu’est-ce que tu fais ! Ne t’approche pas de ce piédestal !

    — Mais ça brille, se justifie l’interpellé au pied du socle.

    — T’es pas un insecte ! Ne t’approche pas de ce truc !

    — Oh, regardez.

             Il s’empare d’un petit objet entre le pouce et l’index et le montre à ses camarades. Il s’agit d’un anneau d’argent surmonté d’un diamant taillé en hexagone allongé jaune qui scintille intensément.

    — Comme quoi… tout ce qui brille n’est pas d’or…

    — … C’est ça, la chevalière ? demande Arnaud. Elle ressemble en rien à ce dont on avait parlé.

    — Bah…

             La réponse de Mickaël est interrompue par un tremblement de terre. Affolés, ils jettent tous des regards partout, s’attendant presque à voir un petit diable sur ressort jaillir d’une fissure dans un mur, et qui tiendrait une pancarte sur laquelle il serait écrit “ HA HA JE VOUS ZÉ U MOVIAITES”… mais le diable ne vient pas sous cette forme.
             Les murs se déchirent, le plafond et les colonnes s’effondrent. Même les gorgones sont dépassées, et se contentent d’observer nerveusement les alentours pour déceler la source de ce séisme. Elles espèrent voir un petit diable sur ressort bondir hors d’un trou dans le sol, et qui tiendrait un panneau sur lequel il serait inscrit “BOO-YA !”… mais le diable ne vient pas sous cette forme.
            Mickaël, Grosmanu, Arnaud et Vincent sprintent pour se cacher derrière les restes d’une colonne écroulée. Tant pis pour Georges ! Qu’il se débrouille !
             Un rugissement assourdissant fait trembler les fondations-mêmes du temple. Soudain, à l’instar d’une fusée, une énorme forme noire se rue dans la salle, explosant l’encadrement de l’arche en pierre. Aussi vive que l’éclair, la silhouette s’empare d’Euryale et lui broie l’abdomen, dégageant ce faisant un bruit de tôle pliée, et la projette contre un mur. Les deux autres gorgones réagissent au quart de tour. Déployant leurs ailes de toute leur envergure, Méduse et Sthéno fondent sur la figure mystérieuse. Un énorme sabot plaque Sthéno au sol et deux pattes griffues agrippent la dernière gorgone et lui déchire la tête du reste du corps. Le corps sans vie tombe dans un fracas métallique épouvantable, et le crâne sectionné roule jusqu’aux quatre compagnons, ses yeux jetant toujours des éclairs et sa mâchoire inférieure s’actionnant toujours de bas en haut dans l’espoir vain de mordre l’adversaire.

    — Eh bah, siffle Vincent d’admiration. Heureusement qu’elles sont immortelles…

    — Ouais, regarde, répond Mickaël, elle arrête pas de bouger, elle.

             Effectivement, Sthéno ne cesse d’essayer de déchiqueter le demi-elfe mais ne parvient qu’à tourner sur place. C’est à cet instant que Georges désire se remettre de ses états. Tâtant sa tête cabossée de son aile, il ne réagit qu’en sentant un souffle chaud dans son long cou à plumes. Lentement, ses yeux se tournent, puis entraînent le reste du corps dans leur mouvement. À nouveau, il hurle un “côt” de frayeur, et cavale jusqu’au refuge des quatre compagnons, et s’accroche à Arnaud.
              La sinistre silhouette s’approche d’eux. Il s’agit d’une véritable monstruosité. Comme si un homme avait grossièrement muté en bélier : une hauteur de trois mètres, des cornes courbées sur le front, une longue chevelure volcanique, un visage carré au possible, des yeux solaires, un naseau crachant des volutes de fumée, des dents débordant de la gueule, un naseau crachant des volutes de fumée, un torse noir charbon aux muscles saillants et des jambes velues se terminant sur des sabots.

    — Mais qu’est-ce que c’est que ce… truc ?!

    — Côt côt ! Côt côt côt côt !

    — Quoi ?

             Grosmanu adopte un air grave.

    — Il dit que c’est Kieran.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 8 Août 2013 à 09:32

    J'ai eu plaisir à le lire , excellent ,merci :)

    2
    Jeudi 8 Août 2013 à 19:55

    Merci à toi ! Ton enthousiasme fait vraiment au chaud au coeur !

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