• PROLOGUE : L'OUVERTURE

    Le Premier Ministre Syndros Talamec réunit les comtes de Safirel suite à la mort du roi, dans le but de réorganiser le royaume. Cependant, ses propositions se heurtent à l'hostilité manifeste du comte Arkz. Le politicien face au guerrier, un cas classique... tant que les choses ne dégénèrent pas.

    -------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    PROLOGUE : L'OUVERTURE

     

                Le soleil se lève à nouveau sur le royaume de Safirel. Sa lumière balaye d’abord l’horizon puis envahit chaque recoin du pays. L’astre entame sa course depuis l’ouest et s’étend petit à petit sur toute la contrée, débutant par la ville portuaire d’Irrabitz, puis s’attaquant aux terres intérieures. Sauf à un endroit : le comté de Dreadstadt. Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige, que ce soit l’été, le printemps, l’automne ou l’hiver, le climat de Dreadstadt ne varie jamais. Le temps est fixé à l’obscurité nocturne glacée.
              Dreadstadt suit Irrabitz et, bien qu’elle soit un carrefour incontournable pour se rendre sur la côte par la route, les gens redoutent d’aborder ses environs. Pour plusieurs raisons qui pourraient sembler évidentes : le ciel constamment chargé de nuages noirs, l’absence intégrale de végétation, qui contraste avec la présence désagréable de patrouilles de brigands gobelins dont la cruauté n’a d’égale que leur sournoiserie, inféodés au maître des lieux, le comte Arkz.
              La citadelle de Dreadstadt se situe en hauteur, au sommet d’une petite colline rocailleuse, et se fond dans l’atmosphère qui l’entoure, à savoir, des murailles de pierres noires, une herse en acier terne et des douves emplies d’un liquide noirâtre.
               Nulle âme pacifique ne réside en ces murs : Dreadstadt est une forteresse militaire abritant des armes de siège et des créatures asservies à la volonté du sinistre aristocrate. D’aucuns disent que le comte de Dreadstadt se lancera bientôt dans une campagne militaire violente pour s’emparer du trône royal… mais les personnes qui disent cela n’ont de toute évidence aucune idée du caractère et de la personnalité du comte de Dreadstadt, et sont ainsi très, très loin de la réalité.
              Cependant, le comte de Dreadstadt n’est pas à Dreadstadt. Il est au palais d’Olympa, la capitale de Safirel, en compagnie des treize autres comtes et du Premier Ministre pour discuter des nouveaux projets de loi, suite à la mort récente du roi.

     

     

    — Et c’est pourquoi, mes amis, je vous demande de reconsidérer vos taxes et vos amendes. En outre, vous devrez veiller à ce que vos gardes se comportent mieux envers les citoyens. Tous les citoyens. Qu’ils soient humains ou non. Je sais que vos comtés agissent de façon indépendante, mais n’oubliez pas que le roi est mort, sans héritier. Nous devons transmettre au peuple un sentiment de confiance et de sécurité.

             Les quatorze comtes applaudissent les paroles du Premier Ministre, Syndros Talamec, qui sourit, satisfait, hoche la tête, et se rassied dans son fauteuil.

    — Je suis heureux que nous ayons un accord commun, Mesdames les Comtesses et Messieurs les Comtes.

    — Il y a dans vos propos quelque chose qui… comment dire… me chiffonne, intervient alors une voix au timbre métallique.

             L’individu se lève de son fauteuil et s’avance au centre de la salle ronde, au milieu du cercle dessiné par les seize fauteuils, et fait face au Premier Ministre.

    — Arkz, comte de Dreadstadt… J’étais étonné de ne pas vous avoir encore entendu, tiens.

    — Tout le plaisir est pour moi.

              À l’inverse de ses treize pairs et du Premier Ministre, le comte Arkz ne porte pas de robe cérémonielle, comme le veut l’usage safirellan. À la place, il arbore un uniforme militaire violet composé d’un pantalon serré et d’une veste surmontant un justaucorps noir. Il s’agit d’un homme plutôt fin, et pas spécialement grand, frôlant de près le mètre soixante-dix. Ses longs cheveux noirs sont soigneusement peignés en arrière, en dehors d’une mèche rebelle qui préfère toujours se placer devant son visage. Celui-ci, d’ailleurs, est couvert d’un fin masque en acier orné de diverses arabesques. En dépit de sa taille peu impressionnante, le comte Arkz est entouré d’une aura imposante, émise par son timbre de voix grave et son rythme lent, mais surtout par son regard. En effet, l’iris de ses yeux est d’un or flamboyant, et c’est par ces deux fenêtres que l’on peut distinguer en cet être une soif inextinguible de pouvoir. Une seule chose brille en lui, l’illuminant de toute la puissance d’un soleil dans une galaxie : le pouvoir. Et cette volonté est reliée au monde mortel par ses deux écoutilles derrière son masque. Ses bottes claquent contre le sol.

    — Quelle est donc votre objection, comte Arkz ?

    — Vous savez, Talamec, avant d’être comte, j’étais un brillant stratège. Je le suis toujours, d’ailleurs, sans me vanter.

    — Venez-en au fait.

           Le comte Arkz plante ses deux yeux dorés à la pupille fendue dans le regard du Premier Ministre.

    — Vous manœuvrez très bien, Talamec. Comme tous les Elfes, vous êtes un beau parleur.

              Le Premier Ministre tente de déchiffrer le comportement du comte, mais son regard se cogne contre la froideur du fin masque d’acier décoré recouvrant le visage d’Arkz, avant de s’écouler lamentablement au sol, entraînant l’espoir de Talamec de percer la tactique du comte rebelle. Ce dernier se retourne vers ses treize confrères, et étend les bras.

    — Comtes, comtesses ! Mes amis. Écoutez-moi. Il y a peu, notre bon souverain a succombé à sa maladie. Enfin, c’est ce que nous supposons. Regardez bien, écoutez attentivement, faites appel à tous vos sens, mes camarades. Ce que j’entends dans le discours de cet intrigant, c’est qu’il tente de nous réunir sous son égide. De nous priver de nos droits. De nous fédérer autour de son pouvoir et de petit à petit nous dépouiller du nôtre pour finalement régner en seul maître.

              Il fait à nouveau face au Premier Ministre, dont le teint est devenu aussi livide que le marbre constituant le palais.

    — Je pense que le Premier Ministre tente de s’arroger le trône pour lui seul. En l’absence d’héritier, il est certes le régent légitime, mais il ne peut gouverner en son nom. En tentant de nous regrouper autour de lui, il nous évide, il nous dépouille et peut ainsi prendre le pouvoir sous notre nez.

              Des murmures s’élèvent entre les comtes et comtesses. Le comte Arkz se dirige vers l’une des comtesses, connue pour ses coupes de cheveux excentriques.

    — Comtesse Glenn Recio ! Pérynault, votre comté, n’est-il pas heureux de ses accords commerciaux sur la fourrure ? Les conséquences des lois du Premier Ministre seraient désastreuses, vous perdriez votre privilège monopolistique, imaginez seulement l’effet sur votre peuple… Votre corps balancerait au gibet au gré du vent.

             La comtesse, paralysée d’effroi, ne peut détacher son regard de celui du comte Arkz. Ce dernier continue à la fixer, sentant ses paroles s’insinuer en elle tel un poison foudroyant. Le Premier Ministre se lève d’un bond, outré.

    — Ça suffit, Arkz ! Vous êtes ridicule ! Je n’ai et n’aurai jamais la prétention de m’emparer du trône royal !

    — Ah non ? Eh bien prouvez-le ! Passez la chevalière royale à votre main !

             La chevalière royale… La chevalière que portait Arkambor le Lumineux, fondateur de Safirel. La bague serait imprégnée de son essence semi-divine et aurait le pouvoir de juger si un dirigeant est ou non qualifié pour régner sur le royaume. Par les flux de magie, elle posséderait la capacité de détruire son porteur si celui-ci était animé de sombres intentions, mais aussi de le protéger si son cœur était pur.

    — Elle seule jugera de vos intentions ! s’exclame Arkz.

    — Mais elle a disparu depuis des années ! Personne ne sait où elle peut bien se trouver ! Ni si elle existe encore !

    — Vous avez une semaine, Talamec, à compter de demain.

    — Une semaine ? Vous avez conscience qu’avec la Fête de l’Eclipse prochaine, je n’aurai pas le temps de…

    — Au-delà, j’attaquerai Olympa avec mes troupes.

             Cette nouvelle tombe tel un bloc de glace gigantesque dans la salle, répandant un froid vigoureux saisissant les os du Premier Ministre. Comme annihilé, il retombe mollement dans son fauteuil.

    — Et je redistribuerai ce pouvoir décidément bien mal appliqué, achève le comte Arkz.

              Il pivote et disparaît de la chambre du conseil.

     

     

              Le Premier Ministre clôt les yeux. Le comte Arkz a toujours tout fait pour lui déplaire. Mais là, il s’agit d’un ultimatum. Une déclaration de guerre. Avec les bons arguments, le comte saura réunir assez d’alliés pour représenter une sévère menace. Néanmoins, si la chevalière le juge pur, il pourra imposer une véritable ère de paix à Safirel… Le Premier Ministre rouvre les yeux, sort de la chambre du conseil, rattrape le comte de Dreadstadt, et le plaque brutalement contre le mur.

    — À quoi jouez-vous, Arkz ? Avez-vous perdu la raison ?

    — Vous ne comprenez pas ? Votre temps ici est révolu, Talamec. Votre temps à vous, et celui de votre méprisable race elfique.

    — Qu’est-ce qui peut attiser autant de haine de votre part, Arkz ? Votre peuple et le mien sont cousins !

    — Peut-être que si vos frères ne m’avaient pas infligé cette cicatrice, je serais moins acide, réplique sèchement Arkz en montrant son masque du doigt. Maintenant, je vous ordonne de me lâcher.

    — Vous n’avez pas d’ordre à me donner, Arkz, je suis le Premier Ministre.

    — Pour encore une semaine, Talamec.

              Arkz se dégage sauvagement de l’étreinte, et reprend son chemin.

    — Pour qui vous prenez-vous à vous comporter ainsi ? questionne le Premier Ministre.

              Arkz s’arrête.

    — Je suis le comte Arkz, répond-il sans même se retourner. C’est ce qui me confère le prestige suffisant d’agir comme bon me semble. Dépêchez-vous, Talamec. Le temps court.

             Et il repart. Talamec pose la main à sa hanche, vérifiant que son sablier est toujours solidement accroché à sa ceinture. Des petits pas légers accourent. Il se tourne et voit que sa charmante secrétaire aux charmantes lunettes se précipiter sur lui, tentant de trouver maladroitement des appuis sur ses talons aiguilles.

    — Monsieur le Premier Ministre ! Votre rendez-vous est arrivé.

    — Parfait. Veuillez le conduire dans l’antichambre, je vais le recevoir après avoir terminé quelques petites affaires.

     

     

                De tous les peuples vivant sur le continent, les Toraniens font de loin partie des plus étranges. Ils sont un amalgame insolite d’homme et de bovin. On dit qu’autrefois, le tout premier Toranien, nommé Minolete, fut banni dans une terre encore hostile pour avoir instauré un jeu cruel dans lequel il faisait chasser des Hommes et des Elfes par des buffles. Depuis ces temps anciens, le monde s’est toujours méfié des Toraniens. Pourtant, en dépit de leur apparence grotesque de taureau humanoïde et de leur passé sinistre, les Toraniens sont réputés pour leur science avancée de la chasse. En effet, ils ont une connaissance très poussée de la Nature, sachant se fondre en elle, et utilisent des armes à feu pour traquer leurs proies. Il arrive même que certains des plus doués des chasseurs Toraniens parviennent à capturer un animal et à le domestiquer pour en faire leur compagnon de route. La plupart des Toraniens domptent des lions, des panthères, des tigres, ou bien tout ce qui peut avoir des griffes, des dents, et une tête intimidante.
             Mais pas Grosmanu Sabot-d’acier, non. Grosmanu Sabot-d’acier a toujours été à contre-courant. Grosmanu Sabot-d’acier a Georges.
               Georges est doux. Georges est gentil. Georges est attentionné. Georges est un fichu émeu commun d’un mètre cinquante de haut, brillant par son caquètement incessant et assourdissant.
            Comment Grosmanu a fait pour s’attacher à un tel énergumène, cela restera à jamais un mystère, même pour lui !
             En effet, Grosmanu est un Toranien de la plus belle espèce : le pelage noir, une carrure imposante, deux belles cornes blanches, un anneau décoratif dans le naseau, et une barbe tressée et entretenue qui fait sa fierté. À l’inverse, Georges est une sorte de croisement raté entre un dindon et une autruche, affublé de trois grandes plumes rouges plantées comme un épi sur le sommet du crâne. Plumes qui se balancent d’avant en arrière tandis que Georges fait les cent pas autour de son maître, qui, pour sa part, patiente sagement dans l’antichambre, en espérant que le Premier Ministre lui donne bientôt accès à son bureau. Enfin, la porte du fond s’ouvre, et la charmante secrétaire aux charmantes lunettes lui fait signe d’entrer. Le Toranien hoche sa tête massive et suit la secrétaire, son insupportable bestiole lui emboîtant le pas. Le Premier Ministre l’invite à s’asseoir à son bureau. Grosmanu s’exécute.

    — Bonjour, Grosmanu. Veuillez m’excuser de mon retard, la mort du roi bouscule quelque peu nos habitudes.

    — Il n’y a pas de bal.

    — Je vous demande pardon ?

    — Je meuglais que ce n’était pas grave. Vous avez vos endettements.

    — … Certes. Mon ami… vous devriez vous exercer davantage à parler notre langue.

             Les Toraniens venant d’un pays particulièrement reculé et inaccessible à cause d’une jungle luxuriante par sa flore et par sa faune aussi dangereuse l’une que l’autre, ils ont leur langage propre, partagé avec les Troltigeurs : le Drill.
          Grosmanu est un exemple rare de Toranien s’étant décidé à apprendre la langue commune, pour les besoins de son métier de mercenaire itinérant. Toutefois, il a trouvé plus sage de prendre des cours de langue par correspondance, ce qui occasionne quelques inconsistances dans ses propos, entre autres.

    — Vous aviez demandé une audience pour me parler d’un problème qui vous perturbait, Grosmanu. En quoi puis-je vous aider ?

    — Oui, tout à fait. Voilà ma complication. Mon frère a fait des siennes, ce satané carcajou unijambiste, et je dois l’empêcher de faire plus de mal.

    — C’est-à-dire ?

    — Les rumeurs disent qu’il s’est associé à la WTF.

    — Au… à la WTF ?!

             Le Premier Ministre blêmit en bondissant sur son fauteuil, manquant de partir à la renverse.

    — Mais la World Troll Fédération est une organisation terroriste surpuissante ! Comment puis-je vous aider sur ce point-là ?!

    — Vous avez des amis hauts-perchés. Vous pourriez peut-être m'accommoder une entrevue. Je veux seulement rectifier mon frère.

    — Je… je… je ne vous promets rien…

    — Meuhrci, Meuhsieur le Premier Laquais.

    — En retour, j’aurais une faveur à vous demander.

    — Convenablement sûr, tout ce que vous prescrivez !

    — Croyez-moi bien que je me sens infâme à l’idée de vous demander de faire une telle chose, mon ami. Comment vous le mettre de façon claire… Je suis dans une impasse.

    — Une impasse ?

    — Le comte de Dreadstadt m’a lancé un défi, celui de retrouver la chevalière royale et de la passer au doigt, dans une semaine au plus tard. Je vous demande, en échange de ce service que vous me réclamez, de vous mettre en recherche de la chevalière et de me la rapporter.

    — Ça vous fera 5000 pièces d’or.

              Le Premier Ministre refait un bond en arrière et bascule cette fois-ci véritablement de son siège. Il se redresse maladroitement et toussote.

    — Je vous demande pardon ? Je viens de vous dire que c’était en échange du service que vous sollicitiez !

    — Eh bien quoi ? Tout salaire travaille son mérite, non ?

    — Certes, oui, évidemment, bien sûr, mais… 5000 ?! Alors que nous venons de conclure un accord qui…

              Grosmanu se lève de son fauteuil.

    — Je ne négocierai pas. Soyez fortuné de traiter avec meuh plutôt qu’avec mon frère. Il vous aurait fait chapeauter le double. Au moins.

    — Mais, mais, mais…

             Soudain, Georges dresse sa tête surmontée de trois grandes plumes rouges, et ouvre le bec :

    — Côt ! Côt côt côt côt ! Côôôt ! Côt côt côt ! CÔT !

    — Euh… il a dit quoi ? questionne le Premier Ministre.

    — Certainement un discours sur ma direction des affaires, mais franchement, je n’en ai aucune idée, répond le Toranien. J’ai jamais assimilé un félon côt de ce qu’il côtait. 


  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Juillet 2013 à 18:08

    Ca fait bizarre de voir les vieilles illustrations...

    2
    Marie-Gaëlle
    Lundi 24 Février 2014 à 14:34

    ça me plaît, on est de suite dans l'action, l'ambiance est très bien rendue. Je vais me pencher là-dessus, ces prochains jours! Beau travail :)

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    3
    Lundi 24 Février 2014 à 15:13

    Merci beaucoup !

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :